La Khâgne classique de Condorcet
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Message  Claire Ven 16 Jan - 2:30

Je n'ai pas la prétention de penser que c'est bien, c'est peut-être mal mené etc. Mais comme l'a dit Oriane autant mettre maintenant ces fiches en commun, après vous en faites ce que vous voulez.

L’école et la laïcité en France, de 48 à Vichy

***

L'enseignement est le miroir de la vie française, d’abord en tant que lieu de socialisation qui a successivement été au cœur du débat des Lumières, des projets de la Révolution et de la culture républicaine, puis en tant que scène des grands débats idéologiques qui agitent la société, en particulier sur la laïcité et la démocratie, et enfin en tant qu’espace de formation de comportements collectifs, de références et de valeurs.

Au XIXe siècle, l’enseignement est profondément transformé par la cause républicaine: ainsi école et politique sont liées, puisque l’école sert en les réalisant et les maintenant les buts républicains. Parler de l’école revient à désigner concrètement un lieu constitué de bâtiments dont les caractéristiques témoignent d’une idéologie ; mais aussi et surtout l’enseignement qui y est délivré, ce qu’on apprend aux élèves et dans quel but ; et enfin les acteurs de l’école, les enseignants, notamment la figure éminente de l’instituteur, et les élèves, ce qu’ils représentent pour les Républicains et l’Eglise.

La laïcité signifie par définition qu’un Etat doit rester neutre en matière de religion et maintenir une distance entre la sphère privée et la sphère publique. Au XIXe siècle, la laïcité renvoie donc au combat des républicains contre l’Eglise qui joue de sa puissance et veut la déployer sur l’enseignement afin de faire conserver à la France un esprit et une morale catholiques, des pratiques conservatrices et une instruction traditionnelle. La laïcité a pour idéaux politiques l’égalité, la liberté de conscience et la priorité absolue au bien commun ; pour garantir ces principes, l’État doit se séparer des institutions publiques des Églises. Ainsi, la laïcité exclut toute mise en tutelle puisqu‘elle tend à séparer l’Etat de l’Eglise: l’œuvre scolaire des républicains est donc de soustraire l’école à l‘influence de l‘Eglise, afin de rendre la République seule maîtresse de la France et d’installer son hégémonie par le processus de la laïcisation pour achever les idées des Lumières.

On ne peut donc pas séparer l’école laïque de la cause républicaine : la fonder et la défendre par la suite, donne à la République le sentiment de lutter pour son existence. A l’inverse, l’Eglise croit combattre pour sa propre survie en s’engageant dans la lutte pour la restauration monarchique, contre la République et son école. Ainsi s’expliquent la reconstitution d’une majorité républicaine ébranlée autour de l’école, et le déchaînement des passions conservatrices contre l’école laïque qui pourrait rendre la monarchie inacceptable à l’opinion.

Si école et laïcité sont alors indissociables au XIXe siècle, c’est parce que l’école a constitué un véritable enjeu républicain : combattre l’Eglise, faire de l’élève un futur citoyen éclairé de la République, et mettre en place toute une symbolique de l’école qui représente la réussite républicaine.

Ainsi, comment l’école a-t-elle servi le combat de la République contre la tutelle de l’Eglise, en étant le terrain d’affrontement de l’Eglise et de l’Etat? Comment l’école a-t-elle joué un rôle primordial dans l’installation d’une valeur fondamentale de la République, la laïcité? En instaurant la laïcité à l’école, pourquoi et comment les républicains en ont-ils fait un principe essentiel de la vie politique française?
Il faut particulièrement insister sur la construction réciproque de la République et de l’école laïque : comment se sont formées ensemble l’école, la laïcité et la République, dans une action complémentaire, pour finalement faire de l’école la source de l’identité française?

Cette perspective, suivant une évolution chronologique de l’école de 1848 à Vichy, afin de rendre compte de la mise en place des enjeux républicains, de leur exécution et de leurs conséquences, comprend l’essai du cléricalisme scolaire de 1848 à 1879, préparant la réplique républicaine ; réplique qui survient en 1880 avec la révolution scolaire, ouvrant la période de l’école de Ferry ; école dont la contestation s’uniformise avec la Séparation et se poursuit au long du XXe siècle, affermissant la laïcité au lieu de l’affaiblir.

***

Sources: Berstein S. et Winock M., L’invention de la démocratie, Seuil
Albertini P., L’ école en France du XIXe siècle à nos jours, Hachette sup
Ozouf M., L’école, l’Église et la République, Seuil
*

I. Le cléricalisme scolaire de 1848 à 1879: la vision conservatrice de l’Eglise refuse les réformes face à l’évolution de la société, et prépare donc malgré elle l’offensive républicaine sur le terrain scolaire et l’avènement de la laïcité.

A) L‘école comme moyen de reconquête catholique.

1) La réaction de l’Eglise après 1848
La question scolaire est au cœur de la question religieuse qui agite la France du XIXe siècle : l’Eglise, qui a une vocation enseignante car elle transmet la révélation catholique, notamment par le catéchisme à l'école, entretient une relation conflictuelle avec l’Etat, dont le rôle pédagogique s’est vu renforcé par la Révolution puis l’Empire. Les événements de 1848 font resurgir la question religieuse, avec la mise en place du suffrage universel, qui veut réaliser la démocratisation politique de la France et donner aux hommes concernés par le suffrage la possibilité de s‘exprimer : ainsi on passe des mentalités aux opinions, changement que favorise la progression de l‘alphabétisation. L’Eglise considère alors qu’elle doit maintenir son contrôle sur les Français. Les journées de Juin 1848 la renforcent dans cet avis car elles provoquent une peur sociale qui va faire de l'acculturation populaire un sujet sensible : pour l‘Eglise, l‘instruction permet d‘assurer le maintien des valeurs et idées qu‘elle promeut.

2) La loi Falloux de 1850
Le 15 mars 1850 est par conséquent votée la loi Falloux qui agitera par la suite le milieu scolaire français : cette loi a pour objectif de renforcer la place de l‘Eglise dans l‘enseignement grâce aux notables et aux ecclésiastiques, et de lutter contre le socialisme. Ses principaux points peuvent être brièvement rappelés :
-l’article 17 reconnaît à la fois les écoles publiques et les écoles libres,
-l’article 23 se rapporte à l’enseignement qui comprend entre autres l’instruction morale et religieuse,
-l’article 44 instaure le contrôle des autorités locales que sont le maire, le curé, le pasteur ou le délégué du culte israëlique, sur l’enseignement religieux et la direction morale à l’école primaire,
-l’article 49 décide que des lettres d’obédience tiendront lieu de brevet de capacité aux institutrices appartenant à des congrégations religieuses.
Ainsi, jusqu’en 1880, la notion de laïcité est absente de l’école primaire publique : toute école dispense un enseignement religieux et peut être confiée à des religieux ou religieuses, même publique. La loi Falloux marque la naissance d’un anticléricalisme scolaire qui va se lever contre l’oppression de l’Eglise. On a par ailleurs compté environ 4000 cas de maîtres socialistes révoqués entre 1850 et 1852, ce qui place bien l’école au cœur de l’opposition membres du parti de l’Ordre et républicains, cléricaux et anticléricaux.

3) La concurrence du privé dans l’enseignement
La loi Falloux renforce donc la discipline et le contrôle par une autorité religieuse car les écoles contiennent les germes du radicalisme politique : c‘est contre les valeurs républicaines que l‘Eglise entend maintenir son assise. Avec la proclamation de la liberté de l’enseignement secondaire, la loi Falloux nuit aux intérêts du public puisque les établissements privés sont favorisés : les familles de notables préfèrent en effet y envoyer leurs enfants, par tradition familiale (l’enseignement des Jésuites) et raison professionnelle (l’élite peut accéder au baccalauréat dont l’échéance est à la fin des études secondaires). On est donc loin de l’égalité rêvée par les Républicains, qu’empêche le cléricalisme scolaire en renforçant le caractère élitiste du secondaire. La permission d’ouvrir des établissements qu’obtiennent les congrégations non autorisées fait connaître un essor fulgurant aux Jésuites, qui totalisent 27 collèges sous l’Ordre moral des années 70. La préséance de l’enseignement privé se fait dans un esprit conservateur qui veut éviter toute rupture avec l’enseignement traditionnel.

B) Par le biais de l’école, fermer l’abîme des révolutions.

1) Le maintien de l’Ancien Régime scolaire.
L’enseignement de l’Eglise à l’école s’inspire des anciens modèles pédagogiques : le latin au collège en est l’exemple fixe, puisque la rhétorique latine survivra jusqu’en 1880. Les humanités classiques signifient pour l’Eglise un retour à la tradition, analogue à un retour à la religion, face aux désordres révolutionnaires : il existe la certitude héritée des Jésuites que l’univers scolaire doit être étranger à son siècle et que la civilisation acquiert une valeur éducative en s'éloignant dans le temps. Il s’agit pour l’Eglise d’élever un rempart : elle n'enseigne pas vraiment l’Antiquité mais une morale conciliable avec les valeurs christianisme.
Dans le primaire apparaissent les limites de l’instruction dans la trilogie lire-écrire-compter, la lecture en particulier se limitant principalement à l’histoire sainte qui est un objet de moralisation. L’école d’avant Ferry donne ainsi une impression d’indigence car elle est limitée à un apprentissage sans réemploi véritable.

2) L‘enjeu de l‘instruction féminine
Avec la loi Falloux, les congrégations féminines se multiplient, surtout à la campagne : l’instruction des filles correspond à un enjeu catholique, l’Eglise voulant diffuser l’image traditionnelle de la femme vouée au foyer et ainsi reconquérir les hommes par les femmes. Les filles sont dites être « les genoux de l’Eglise » : les conservateurs pensent que la femme fera échec à la Révolution, puisque l’enseignement catholique vise à la rendre obéissante et timide. Son instruction se limite en effet à l’apprentissage des soins domestiques et du catéchisme : avec les lettres d’obédience, les institutrices publiques sont majoritairement des religieuses (70% en 1863) et n’ayant pas l’instruction nécessaire mais pouvant tout de même enseigner, elles donnent aux élèves davantage une éducation qu’une instruction.

3) La dichotomie entre l’Eglise et la République
Elle se retrouve dans le couple antagoniste du curé et de l’instituteur, qui avec la loi Falloux perd sa liberté : l’alliance de l’Eglise et de l’Etat rend la condition du maître laïc très éprouvante, contrôlé sur tous les points par le curé. L’image en est donnée par Flaubert dans Bouvard et Pécuchet (posthume, 1881), où l‘abbé Jeufroy dit à l‘instituteur Petit: « On trouve que vous négligez un peu l‘histoire sainte», « l‘heure du catéchisme est trop courte!», « je vous rappelle que la loi du 15 mars nous attribue la surveillance de l’instruction primaire» et le menace d’être renvoyé s’il ne va pas à la messe : discours ironique certes, mais véridique.
Ainsi, avant l’arrivée des républicains pédagogues, l’Ecole est l’enjeu de débats car l’Eglise veut fermer grâce à elle “l'abîme des révolutions”, tandis que le courant libéral veut accélérer la modernisation et entreprendre des réformes : en effet l’Eglise par son enseignement conservateur ne répond pas aux idéologies pédagogiques modernes.

C) Les polémiques sur l'école

1) Le creusement d’un fossé intellectuel
Ce fossé est apparu entre les anciennes méthodes sans efficacité de l‘Eglise, en désaccord avec le temps, et le besoin des réformes qu’institueront les républicains pédagogues. On conteste le modèle rhétorique qu’avait durci Fortoul en 1852 : l’évolution économique du second Empire et la défaite de 70 donnent à voir l‘enseignement rhétorique comme inadapté pour former de bons bacheliers et de bons soldats. Bréal est à la tête du mouvement réformateur, “peu de gens songent à se demander si la manière dont nous pratiquons l'étude des langues anciennes est la mieux faite pour obtenir le profil intellectuel que la société serait en droit d'en exiger”(l’Instruction publique en France, 1872).
Simon avec sa circulaire de 1872 met l’accent sur les langues vivantes et condamne les formes traditionnelles de l’enseignement latin : il veut réconcilier l’ordre secondaire et la société en rendant l’enseignement plus varié, plus ouvert et plus libre. Mais il se heurte à la résistance des défenseurs des humanités classiques : les professeurs de lettres, mais également les catholiques qui ne reconnaissent pas de valeur pédagogique à la civilisation moderne condamnée par le Pape Pie IX dans le Syllabus de 64, consacrent l’échec des modernisateurs avant 1877.

2) Les affirmations républicaines
Cependant, la figure de l’instituteur/professeur échappe progressivement au contrôle catholique : dès 1852, Francisque Sarcey avec sa lettre de Chaumont, in Journal de jeunesse, exprime la pensée du professeur libéral insoumis au recteur clérical, « J’ai dans ma classe des juifs, des protestants et des catholiques ; je ne serai donc ni catholique, ni protestant, ni juif avec eux ». De plus, l’Ordre moral fait bénéficier les prêtres en révoquant les instituteurs assistant à des enterrements civils ou en fermant des écoles laïques ouvertes à la fin du Second Empire, ce qui prépare le grand combat émancipateur de la IIIe République, ainsi que la revanche de l’instituteur annoncée par les républicains avec le programme de Belleville en 1869 qui promet « l’instruction primaire laïque, gratuite et obligatoire ». Concernant l’enseignement des jeunes filles, Duruy tente de freiner l’essor des congrégations et de rendre ses prérogatives à la puissance publique avec la circulaire de 1867 qui crée des cours secondaires (pas de catéchisme, mais des lettres, des sciences et de l’histoire). Il provoque la colère des catholiques qui renversent l’expérience, mais conforte les républicains dans leur anticléricalisme : comme l’affirme Ferry dans son discours à la salle Molière en 1870, l’enjeu laïc est l‘égalité d‘éducation, allant contre la pratique de l’Eglise : “il faut que la femme appartienne à la science ou qu'elle appartienne à l'Eglise ».

3) L’école et les partis
Dès janvier 1850, dans un discours contre le vote de la loi Falloux, Hugo précisait à l’Assemblée que les républicains voulaient soustraire les Français au cléricalisme et non à la religion, « je ne vous confonds pas, vous parti clérical, avec l'Église [...] Vous êtes, non les croyants, mais les sectaires d'une religion que vous ne comprenez pas”: les lois républicaines apparaissent comme une mesure de salut public en rupture avec un enseignement clérical despotique. Au cours des années 1870 apparaît ainsi une “laïcité de combat” : les mesures de laïcisation touchent d’abord les institutions de l’Église et l’ensemble de la société, pour s’étendre ensuite à l‘école. En 1876, la majorité républicaine réunie s’en prend aux lois scolaires, ainsi la question de l’enseignement ouvre le conflit entre les conservateurs et les républicains lors de la crise du 16 mai 1877, et en fait une lutte entre la République et l’Eglise catholique. C’est donc dans un esprit entièrement républicain que s’appliquent dès 1879 les réformes scolaires contre le cléricalisme.

Claire

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Message  Claire Ven 16 Jan - 2:31

II. L’Ecole de Ferry ou le combat des républicains : l’Ecole en symbole de la République et terrain d’affirmation des valeurs républicaines.

A) La révolution scolaire des années 80 : les fondements et enjeux de l’école républicaine

1) La culture politique républicaine
La politique conduite par les républicains pour pérenniser une République menacée dans son avenir, puis pour la consolider, est une tentative pour concrétiser dans la réalité sociale une vision du monde plus ou moins partagée. Cette vision provient d’une culture politique républicaine héritée des Lumières : elle réside dans l’affirmation de la primauté absolue de l’individu par le droit naturel, ainsi que dans la pensée optimiste des encyclopédistes croyant au règne de la raison par la progression de la science et enfin dans l’adaptation de la pensée kantienne, la liberté nécessaire de l’homme, aux fondements de la République. Ainsi, cette culture encyclopédiste positiviste est imprégnée d’anticléricalisme et d’agnosticisme. L’éducation devient prioritaire, car le savoir libèrera les individus et créera une société de citoyens éclairés ; par conséquent aucune considération religieuse ne saurait entraver ce progrès de l’humanité. L’effort d’éducation du peuple implique donc à la fois une politique scolaire avec des buts idéologiques et sociaux et la lutte contre l’influence de l’Eglise dans l’enseignement. Cette politique se résume en trois objectifs : répandre les lumières en donnant aux jeunes Français une éducation marquée par l’objectivité scientifique qui les conduira à s’orienter vers le progrès ; fournir à tous les citoyens la possibilité d’ascension sociale grâce à l’égalité des chances, et substituer à la lutte des classes une doctrine de fraternité grâce à la fusion résultant du mélange des riches et des pauvres à l’école. De là résultent les grandes lois républicaines.

2) Les lois scolaires de la IIIe République
Pour les républicains, l’école publique et laïque est la condition indispensable à la formation de citoyens éclairés, puisque l’école est par excellence le lieu d’apprentissage de la démocratie. A une l’Eglise qui connaît une dérive anti-intellectuelle et autoritaire, avec les apparitions de Lourdes en 1858 et le Syllabus de Pie IX en 1864, Ferry oppose l'émancipation des individus par la raison naturelle (le thème du discours de la salle Molière en 1870). De plus, les conseillers des ministres républicains (Liard, Zévort, Buisson) compensent par la longévité de leur poste l'instabilité ministérielle et ont une conscience aigüe du caractère clérical et rhétorique des traditions enseignantes et s'efforcent d'y remédier.
Les lois scolaires touchent d’abord l’enseignement destiné aux filles : après la loi Duruy de 1867 rendant obligatoires les écoles publiques dans les communes de plus de cinq cent habitants et étendant la gratuité, la loi de 1879 oblige chaque département à tenir une école normale d’institutrices, et la loi Camille Sée de 1880 crée les collèges et lycées de filles et exclut l’enseignement religieux des heures de classe. Ces lois témoignent de la volonté d’égaliser les sexes sur les bancs de l’école, et de former de futures citoyennes, pouvant ainsi retirer la femme du joug de l’Eglise et renforcer le combat anticlérical.
Puis, en 1881 et 1882, Jules Ferry, ministre de l’Instruction publique, passionné pour la République, et dont l’anticléricalisme est hérité des Lumières et du positivisme, remanie profondément l’enseignement primaire.
Pour cela la gratuité est instaurée en 1881: n’ayant plus à payer l’inscription scolaire, tous les parents, même les plus pauvres, peuvent envoyer leurs enfants à l’école ; selon les journaux conservateurs de l’époque la gratuité impose l’obligation puisque rien n’entrave la scolarisation, et de là impose l’éducation athée.
D’ailleurs est votée en 1882 la loi sur l’obligation de l’instruction primaire, imposant l’école de six à treize ans. De nouveau, les conservateurs montrent que derrière l’obligation, il y a la laïcité. En 1880, ils défendaient le droit du père de famille en matière d’instruction, qui doit rester une affaire privée. Les républicains y opposaient le droit de l’enfant, « qu’est-ce que l’ignorance ? L’aveuglement. Un père a-t-il le droit d’aveugler son enfant ? » (La dépêche de Toulouse, 1880).
Mais c’est la loi sur la laïcité en 1882 qui nourrit la plus vive polémique. En effet, dans la triade “gratuité, obligation, laïcité”, la laïcité est la plus révolutionnaire: s'il y a révolution scolaire vers 80, c'est avant tout une révolution des perspectives, des programmes et des contenus. La laïcisation concerne ainsi l’enseignement et les locaux, remplaçant l’enseignement religieux des programmes par l’instruction morale et civique (article 1), supprimant les crucifix des salles de classe et abrogeant l’article 44 de la loi Falloux (les inspections religieuses). Ces grandes lois confirment par excellence l’affirmation républicaine, le triomphe de la raison sur l’enseignement clérical et contre l’ignorance.

3) La prudence des républicains
Cependant, pour mieux faire accepter les réformes dans l’opinion, les républicains, particulièrement Ferry, se veulent pacificateurs : dans sa « Lettre aux instituteurs » en 1883, Ferry précise que ces lois ne sont pas des lois de combat, mais font partie de “ces grandes lois organiques destinées à vivre avec le pays”.
Ces lois devront faire l’objet d’une application prudente : les programmes conservent une orientation spirituelle et il est admis que les “devoirs envers Dieu” pourront être évoqués. La volonté d’apaisement se manifeste aussi en ce qui concerne le problème de la présence des crucifix dans les salles de classe : les crucifix ne sont pas ôtés si cela soulève l’hostilité des populations. Enfin, Ferry fait preuve de pragmatisme en parvenant à un accord dans la “querelle des manuels scolaires”, quatre d’entre eux ayant été condamnés par le Pape. Par la suite, la laïcité de l’enseignement s’approfondit : en 1886, la loi Goblet laïcise le personnel enseignant et l’élargit en laïcisant l’enseignement secondaire. Les congrégationistes sont exclus et les écoles qu’ils tiennent ne peuvent être que des écoles privées : cette loi confère une dimension religieuse à la distinction public et privé, fondée depuis la loi Guizot sur un critère financier. Après l’instauration de ces lois, la laïcité devient une évidence.

B) L’action des républicains pédagogues

1) Une révolution lente et peu violente
Les lois Ferry réaffirment, à côté de l’enseignement public, la liberté de l’enseignement, mais la loi de 1881 supprime la lettre d’obédience, afin de donner aux élèves des instituteurs et institutrices qualifiés, chacun étant un « auxiliaire naturel du progrès moral et social » (« Lettre aux instituteurs »). Par contre, l’enseignement religieux est laissé à l’école privée et devient matière facultative ; les écoles ont également un jour de libre par semaine pour que les parents puissent faire instruire religieusement leurs enfants s’ils le souhaitent. Mais les lois scolaires sont très mal accueillies par les catholiques, comme en témoignent de véhéments articles en réaction à la loi Camille Sée, et le journal l’Univers qui critique la rentrée de 1882 en disant que l’éloge du régime républicain a remplacé le catéchisme. Du côté républicain résonne alors un appel à la modération : dans sa circulaire de 1883, Ferry dit aux instituteurs : “Au moment de proposer aux élèves un précepte, une maxime quelconque, demander-vous s'il se trouve à votre connaissance un seul honnête homme qui puisse être froissé de ce que vous allez dire”. Pour Ferry l’enseignement moral diffère de celui du catéchisme en cela que la transformation morale se fera avec le temps, “c'est surtout hors de l'école qu'on pourra juger ce qu'a valu notre enseignement”.
Cependant la formation du futur républicain se différencie nettement de celle du catholique, ainsi que l’exprime Buisson dans un discours au congrès radical de 1903 : « […] toute l’éducation cléricale aboutit à ce commandement : croire et obéir, foi aveugle et obéissance passive » tandis que le républicain « ne doit ni foi ni obéissance à personne, c’est à lui de chercher la vérité». On transforme donc l’enseignement public en modifiant ses valeurs et en élargissant son audience et son contenu.

2) Qu’apprend l’enseignement laïque ?
Pour accorder la nouvelle foi rationaliste et la tradition disciplinaire de l’enseignement primaire, on met en place une pédagogie prudente qui définit l’identité collective, et où le conformisme social et national va de pair avec un attachement sincère aux valeurs neuves de la République et de la Raison. L’instituteur doit fortifier les notions morales communes, qui s’articulent autour de Dieu, néanmoins on constate un dépérissement de l’enseignement de ces devoirs car les instituteurs ne veulent pas être accusés de cléricalisme, et sont en grande majorité athées. Les catholiques parlent alors de la déchristianisation de la France. Ainsi dépourvu d’enseignement religieux, l’enseignement laïc privilégie l’instruction civique, liée à l’enseignement de la morale : en inculquant l’amour de la patrie aux futurs citoyens, les républicains espèrent unifier la nation. En plus de l’interdiction du patois pour réaliser une déculturation locale, les autres matières participent de cette unification : la littérature française, avec les fables de La Fontaine ou les récitations d’Hugo, apparaît dans les programmes primaires par décision démocratique et unificatrice ; l’enseignement de la géographie du territoire se développe, avec les cartes de Vidal de La Blache pour que les élèves puissent se représenter physiquement l'Etat-nation et enfin l’histoire qui valorise le fait révolutionnaire. Quant aux sciences, elles font éclater l’irréalité de l’enseignement congrégationiste. Le manuel du Tour de France par deux enfants symbolise l’enseignement laïque : le but de l’auteur est de rendre aux enfants « la patrie visible et vivante », en mettant en scène deux garçons qui découvrent dans leur voyage la France que la République cherche à forger par l’école laïque, dans un hymne au travail et à la patrie, « j’aime la France de tout mon cœur, je voudrais qu’elle fût la première nation au monde… » Ainsi, se renforce l’identité et l’appartenance nationales.

3) La poursuite des enjeux républicains
Avec l’arrivée des républicains, qui veulent lutter contre le déclin et les divisions nationales de l’enseignement supérieur, la faculté libre est concurrencée par la faculté publique : celle-ci marque la rencontre de l’idéal républicain et du positivisme. L’enseignement supérieur est l'Eglise de la République, son ministère de la Vérité qui doit affaiblir les vérités révélées par le catholicisme et faire le salut intellectuel de la patrie. Les républicains augmentent alors les effectifs des enseignants et des étudiants en construisant des villes universitaires et distribuant des bourses. Les facultés de lettres sont soumises à des impératifs : former les formateurs de la République, asseoir l’idéologie nationale et rivaliser avec l’Allemagne : c’est le temps de la nouvelle Sorbonne et de la République des professeurs, incarnant un des mythes fondateurs de la III République, l’ambiguïté entre savoir et pouvoir. Concernant les enseignantes, le gouvernement crée contradictoirement l’école laïque sans proclamer l’égalité des sexes, la femme étant encore vue en inférieure, et faute de suffisamment d’écoles normales, il se prive d’institutrices, qui ne connaissent guère d’âge d’or comme leurs homologues masculins.

C) Les symboles de l’Ecole

1) L’émancipement des maîtres
L’instituteur est l’incarnation sociale de la République : il vient de l’école normale qui a entrepris de le former en vrai républicain, avec un esprit positiviste et agnostique. Si son rôle social et local le font mettre en quarantaine jusqu’en 1914 par les curés et notables qui veulent lui faire payer sa situation d’éclaireur, la figure du maître acquiert un grand prestige durant le siècle de Ferry. Il est désigné comme serviteur de la patrie ou missionnaire de la France, et si Péguy surnomme les instituteurs les « hussards noirs » de la République, c’est à cause de leur dévouement auprès de la communauté et de leur engagement à répandre les valeurs républicaines du laïcisme et du pacifisme. Pour qu’il y ait égalité entre les citoyens, il faut maintenir dans la sphère privée ses convictions religieuses : l’instituteur réussit à donner une autorité morale à ce détachement en mettant en avant un esprit critique, en renforçant l’individualisme des Français contre les Eglises et totalitarismes et en donnant de l’identité française une définition abstraite pour mieux faciliter l’assimilation des périphéries.

2) Un lieu républicain
La mutation concomitante du cadre et du contenu a transformé l’expérience concrète de l'école: désormais, la devise de la République, « liberté, égalité, fraternité » est inscrite au-dessus de la porte de l’école. Le matériel augmente, avec l’apparition du tableau noir, des cartes murales, de l’armoire à instruments, des pupitres, des ardoises et des manuels qui répondent aux exigences de l’enseignement républicain ; apparition également du tablier noir que portent les élèves en signe d’égalité et des tenue bourgeoise et baguette magistrales en signe de dignité et d’autorité. Le crucifix n’est pas introduit dans les écoles nouvellement construites et est enlevé dans les écoles restaurées si, comme nous l’avons vu, la population n’y est pas opposée. Parfois l’on voit des élèves de la laïque opposés aux élèves « des frères », donnant une représentation des divisions françaises. Enfin, l’élève apprend à l’école qu’il aura des devoirs et des droits, et c’est d’ailleurs dans les salles de classe que les élections se déroulent symboliquement : l’école devient le cœur de la vie locale, où se superposent la formation du citoyen, la récompense de ses mérites et l’exercice de ses droits.

3) Un Républicanisme diffus
L’Ecole républicaine a développé la croyance en l’égalité des individus, a sanctifié les droits de l'homme et les vertus du combat démocratique, enfin elle a attaché les Français aux libertés.
A grande échelle, le rationalisme de l’école a modernisé les comportements ruraux : la figure de Pasteur est devenue celle d'un saint laïc, missionnaire de la vérité scientifique. Mais si on a condamné la tendance étroitement rationaliste (l’obsession de l’analyse logique) ou l’irrationnel républicain (l’amour excessif de la patrie par une insuffisante connaissance du monde), l'Ecole laïque a rendu les Français moins crédules et plus modernes.
Ainsi l’institution scolaire est au cœur de l’identité française: l’école primaire laïque, gratuite, et obligatoire résume l’idéal français d'acculturation complète. Les “Hussards noirs” diffusent valeurs de la République ; les universitaires apparaissent comme la conscience morale de la nation, qui doit être gouvernée par l'intelligence. Mais cette avancée ne se rencontre toujours pas dans la séparation persistante du primaire laïcisé et du secondaire aristocratique. Malgré cela, l’œuvre républicaine est positive : elle a favorisé le rapprochement culturel des sexes, entamé la démocratisation des savoirs et enraciné le sentiment républicain, protégeant jusqu’à l’Occupation la France du totalitarisme.

Claire

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Message  Claire Ven 16 Jan - 2:33

III. Le temps des bilans et remises en cause : le XXe siècle comme affermissement de l’école laïque au service de la République.

A) L’école laïque comme préambule à la Séparation

1) L’avant et après affaire Dreyfus
L’Ecole de la France est incontestablement l’école de la République : elle a rendu politiquement républicains des Français socialement conservateurs et a cherché à prouver que République rimait avec modération et progrès, au détriment de toute croyance religieuse au sein même de l’enseignement. Après l’échec du boulangisme se fait ressentir un désir d’apaisement entre Eglise et Républicains : Ferry souligne l’urgence de la pacification religieuse et l’encyclique de Léon XIII Inter sollicitudines en 1892 préconise aux catholiques la défense des intérêts religieux en acceptant le pouvoir en place. Or, il n’y a pas d’adhésion à la République sans adhésion aux lois laïques : on voit se constituer « l’esprit nouveau » qui marque un retour du sentiment religieux dans les écoles, pouvant être le rempart contre le péril social ; certains républicains abandonnent alors la laïcité militante, rapprochant ainsi les partisans de l’école laïque du socialisme.
L’affaire Dreyfus rompt cet équilibre : l’opposition entre dreyfusards et antidreyfusards est transposée par Zola dans son roman Vérité de 1902, sous les figures d’un instituteur laïc injustement accusé d’un crime et d’un frère d’une congrégation enseignante qui est le coupable. Le personnage du roman qui fait éclater la vérité est un autre instituteur laïc : Zola décrit l’avènement de la justice contemporain de la défaite de l’Eglise et du triomphe de la laïcité. Ces thèmes répandus dans la presse républicaine cherchent à donner un visage nouveau à la cause laïque, qui avait perdu son caractère offensif et permis aux congrégationistes non autorisés de rouvrir leurs écoles. L’Affaire révèle la solidarité des professeurs qui luttent pour la justice et au-delà, pout la République : les catholiques lient l’affaire Dreyfus et la question scolaire qui sont toutes les deux défendues par les intellectuels et les législateurs antichrétiens. L’Affaire réveille ainsi le militantisme laïc et reforge l’unité catholique en présageant une nouvelle lutte religieuse.

2) De la laïcité de l’école à la laïcité de l’Etat
Ainsi survient l’offensive laïque du bloc des gauches, pour mettre fin à l’agitation nationaliste et affaiblir l’enseignement privé : la loi de 1901 oblige les congrégations à être autorisées tandis qu’est proclamée la liberté des associations civiles. Le promoteur de la loi, Waldeck-Rousseau, voulait une loi de contrôle et non de combat, son successeur Emile Combes engage lui une grande offensive anticléricale en 1902 : les demandes d’autorisation sont rejetées et les écoles privées non autorisées sont fermées. Buisson, qui affirme les droits de l’enfant, répond aux catholiques en 1902: “ce qu'on nous demande, sous couleur de liberté, c'est, proprement, la liberté d'accaparement des consciences” : en 1904 suivent l’interdiction d’enseigner à toute congrégation religieuse et la fermeture de leurs écoles dans un délai de dix ans. En 1905 est finalement votée la loi de séparation de l’Eglise et de l’Etat, « la République assure la liberté de conscience », et pour les républicains il est urgent de consommer la séparation de l’Eglise et de l’école, qui est restée soumise aux influences cléricales. On veut alors « laïciser la laïque », car les pratiques religieuses sont parfois encore exercées et le contenu comprend toujours les devoirs envers Dieu : Le Radical publiait déjà en 1902 « Pourquoi donc, aujourd’hui que le souverain est la nation, n’enseignerions-nous pas la politique laïque de la société moderne, les devoirs envers la démocratie et la République ? ». Ainsi se justifie la rupture absolue avec la neutralité.
3) Les combats d'arrière-garde du cléricalisme
L’enseignement libre n’est pas supprimé par les républicains, même si les débats persistent.
La crise des Inventaires après la Séparation dissuade la gauche d'aller plus loin : elle considère que la pratique religieuse est condamnée à mourir naturellement. Mais au contraire, l’enseignement libre ne disparaît pas: les maîtres et les manuels des écoles privées restent fidèles aux enseignements de l'Eglise et condamnent la politique républicaine, ainsi que le montre le Cours de morale de l'abbé Guibert. Si les écoles se maintiennent, c’est surtout en terres chrétiennes ; où les conflits locaux s’avèrent virulents. Les partisans de l’enseignement libre tendent à rompre l’image de la science triomphante, et lui opposent le retour de Dieu dans l’enseignement : Monseigneur Freppel, dans un discours à la Chambre en 1880, disait que le silence sur Dieu équivalait à sa négation. Enfin, si le latin, tradition scolaire, est éliminé des classes élémentaires, il reste obligatoire dans tout l'enseignement classique.
En 1924, le Cartel des Gauches rouvre la guerre scolaire à propos du Concordat de l’Alsace-Lorraine Herriot veut généraliser “l'ensemble de la législation républicaine” mais la victoire revient à la droite qui obtient le maintien du statu quo. Par contre, lorsqu'en 1929 Pie XI condamne la fréquentation de l’école laïque par les enfants catholiques (Divini illius magistri), il ne parvient pas à affaiblir une institution considérée désormais comme inébranlable.

B. Forces et faiblesses de l’école laïque du XXe siècle

1) L’école en soutien du régime républicain
Avant la première guerre mondiale, c’est à droite qu’on établit la filiation naturelle de l’esprit chrétien au sentiment patriotique ; à gauche revient l’aspect pacifiste du socialisme montant. Les conservateurs s’attaquent donc à « l’école sans patrie ». Mais quelle école, mieux que celle de la République, est le lieu de l’approfondissement de la connaissance de la nation, du développement de l’esprit civique attaché à son pays et de l’unification des Français autour d’une même patrie ? D’ailleurs, c’est ce patriotisme enseigné dès l’école qui mena des soldats dociles à la guerre, où le quart des instituteurs fut tué au combat. Ainsi, l’école est par excellence liée à la République. L’enseignement supérieur entretient particulièrement des liens avec l’idéologie du régime : c’est en faculté de lettres que ces liens sont les plus visibles. En témoigne Péguy dans ses Cahiers de la quinzaine de 1907 où il attaque la Nouvelle Sorbonne qui bénéficiait de 1880 à 1905 des faveurs de la IIIe République : il dénonce la collusion du régime et de l’enseignement supérieur, “ceux qui sont notre ennemi [...] ce sont ceux qui font de la politique ds l'impolitique”, “[...] mettent ensemble deux ordres qu'il ne faut jamais mettre ensemble”.

2) L’inachèvement du processus d’égalisation et d’unification
L’école va progressivement vers l'assimilation des garçons et des filles: à partir de 1902, les filles peuvent se présenter individuellement à l’examen du baccalauréat et se lancer dans des études de droit ou de médecine : on assiste à un changement des mentalités bourgeoises et à la réussite républicaine. Dès 1910, on demande que le baccalauréat soit le terme officiel de l’enseignement secondaire des jeunes filles : “l’identité des examens suppose l’identité des études” (F. Mayeur). La guerre renforce l’idée d’assimilation et le décret de Léon Bérard du 27 mars 1924 donne la victoire aux femmes qui voient la durée de leurs études, leurs programmes et les finalités de leur enseignement identiques à ceux des garçons.
Mais égalisation des sexes ne veut pas dire égalisation des classes. L’obligation et la gratuité de l’enseignement n’ont pas fait naître la démocratie scolaire : le lycée reste en effet réservé à l’élite aristocratique et l’apogée de l’enseignement classique des années 20 montre que l’enseignement secondaire est loin de l’égalité. Pour réaliser l’Ecole unique, on instaure la gratuité des lycées et des collèges de 1926 à 1930, mais suit le renforcement de la sélection à l'entrée en sixième en 1933. Le diplôme acquiert une importance considérable dans la promotion sociale : avec les lois de 1880, la réussite due au capital social est remplacée par la réussite qui intègre le facteur scolaire, mais il faut payer pour accéder au diplôme, ce qui témoigne des limites de la méritocratie républicaine. Quant à l’école primaire, elle voit se constituer le groupe de l'Ecole nouvelle en 1899 qui rompt avec la tradition autoritaire et individualiste de l’école primaire républicaine en mettant au premier plan la psychologie de l'enfant ; néanmoins les instituteurs d’avant la Seconde guerre mondiale continuent à se reconnaître dans l'idéal et la pratique de l'Ecole de 1882.

3) L’ambiguïté de l’enseignant républicain
Dès 1880, les enseignants deviennent des symboles républicains : ils se conforment à la pensée républicaine en s’adaptant aux évolutions du combat contre l’Eglise : ainsi le combisme beaucoup plus que le ferrysme voit l'instituteur afficher son agnosticisme ; en 1914, aucun élève de l'école normale de Toulouse ne va à la messe, et dans le secondaire, Jean Jaurès devient emblématique du professeur républicain. Mais cependant, l’enseignant se rapproche du clérical en cela qu’ils ont le même rôle dans le milieu scolaire et se forment de la même manière : l’école normale des instituteurs se rapproche du séminaire, les deux coupant l’homme du monde et lui inculquant un discours idéologiste : la doctrine de l’Eglise pour les prêtres, l’anticléricalisme pour les instituteurs. Péguy souligne d’ailleurs que les « hussards noirs » portent du violet sur leur habit noir, « le violet n’est pas seulement la couleur des évêques, il est aussi la couleur de l’enseignement primaire » (L’argent, 6e Cahier de la Quinzaine, 1913)
De plus, si les instituteurs s’engagent plus dans les années 30 et obtiennent même de beaux résultats aux élections du Front Populaire, démontrant leur efficacité républicaine auprès des Français, un paradoxe demeure dans leur approbation des accords de Munich en 1938, livrant la Tchécoslovaquie à l’Allemagne, exemple de contre-valeur républicaine, alors qu’elle avait les mêmes valeurs morales et foi pédagogique que la France.
Les instituteurs et professeurs découvrent avec l’Occupation que le message de l’Ecole n'est pas un vaccin contre les problèmes du siècle : une crise scolaire suivra la crise civique des années 30.

Claire

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Message  Claire Ven 16 Jan - 2:33

C) Vichy : la remise en cause de la laïcité et ses conséquences

1) Division scolaire : division politique et idéologique
Vichy est la dernière grande offensive contre la laïcité. Le traumatisme national que vivent les Français a des répercussions dans l'enseignement : le nouveau régime foule aux pieds l'universalisme républicain et le monde enseignant se divise. L’idéal scolaire diffère de la IIIe République car Pétain veut restaurer les valeurs traditionnelles du travail et de la famille et la période est donc favorable à un regain de l’influence catholique : les congrégations reviennent, l’enseignement privé est subventionné par l’Etat, on rétablit les devoirs envers Dieu, le catéchisme et le crucifix ; tout ce que les républicains avaient entrepris d’anéantir. Le pétainisme scolaire est obsédé par le patrimoine français : l’histoire de France doit unir les écoliers de 1940 aux chevaliers et aux saints de l’ancienne France. On érige deux figures de héros nationaux : Péguy, l’identité et « l’âme » françaises, modèle du patriote nationaliste, et Jeanne d'Arc, sainte catholique qui conjugue providentialisme et anglophobie, modèle pédagogique et moral. Les langues nationales sont réintroduites afin de cultiver le régionalisme et l’école voit le « culte » de la République remplacé par le culte du Maréchal, dont les portraits ornent les salles de classe. Les Allemands occupent certains bâtiments scolaires et imposent la langue allemande. Mais ils sont assistés par les collaborationnistes français qui pèsent sur le milieu scolaire : les élèves vont à des grandes expositions sur le juif et la franc-maçonnerie ; l’idéologie nazie imprègne le milieu scolaire.

2) L’Ecole Républicaine mise au banc des accusations
Les instituteurs de la IIIe République sont tenus responsables de la défaite, pour avoir exercé une influence délétère sur la société, qui aurait déraciné les élèves, nui à l’équilibre du monde rural et encouragé jouissance et révolte. Marc Bloch dans L'Etrange défaite, “sur la réforme de l'enseignement” (vers 1943), rend la politique universitaire de l’avant-guerre responsable de la “défaite de l’intelligence et du caractère” ; il préconise la réforme de l’enseignement supérieur et la suppression des grandes écoles. Dès 1941, on écarte les instituteurs à responsabilités syndicales et renverse le système de formation des maîtres en fermant les écoles normales ; l’enseignement primaire perd son caractère unitaire avec la réintroduction de programmes distincts pour la ville et la campagne, les garçons et les filles. La tradition républicaine de l’individu abstrait est remplacée par l’enracinement dans la communauté et la naturalité des différences sexuelles. Pour le secondaire, la réforme est paradoxale : la gratuité est supprimée (elle sera rétablie en 45) mais le primaire supérieur est assimilé au secondaire moderne pour réaliser l’Ecole unique ; le latin redevient obligatoire mais la filière moderne sans latin est maintenue.
Quant au corps enseignant, il est l'objet d'inspections, de sanctions et de suspicions : la politique d’exclusion entamée en 1940 et les mesures antijuives de Carcopino en 1941 chassent les Juifs du corps enseignant, vus comme des corrupteurs de la jeunesse et de l’âme française. La solidarité de l’affaire Dreyfus ne se retrouve guère sous Vichy : s’il y a des choqués, il y a peu de protestations. Le même sort s’applique aux élèves et étudiants juifs, avec exclusion et numerus clausus de 3%. A partir du 8 juin 1942, c’est le port de l’étoile jaune pour les écoliers et lycéens et le début de la vie clandestine : des pensionnats catholiques dissimulent un grand nombre d'enfants entre 1942 et 1944. Cette aide aux Juifs et la demande de l’Eglise à conserver ses mouvements spécifiques pour ne pas embrigader la jeunesse contribuèrent à valoriser le rôle de l’Eglise pendant l’Occupation. Sur 75000 juifs déportés, 9000 furent des écoliers de 6 à 18 ans : on parla de trahison nationale. Les souvenirs de Bertrand Herz, lycéen juif de Condorcet, publiés dans la Mazarine, témoignent de la valeur de ces élèves, qui retrouvèrent l’école républicaine après les camps et se mirent au service de la nation : Herz fut admis à Polytechnique en 1951.

3) Pour une défense de la laïcité
Le corps enseignant de gauche en 1940 est majoritairement pacifiste et accepte donc le régime de Vichy à ses débuts. Ensuite, certains, favorables au maurrassisme ou au fascisme, saluent les événements de l’été 1940 ; mais une minorité entre en collaboration, au sein du Rassemblement National Populaire. Les réticents sont beaucoup plus nombreux : la niaiserie de la propagande maréchaliste et l’impasse de la politique de collaboration, mais surtout l’agressivité du discours antirépublicain, antilaïque et antimaçonnique, contribuent à la résistance passive des enseignants. Le patriotisme et la germanophobie s'expriment en classe, en cours d’histoire, de français et d’anglais. Les lycéens entretiennent un esprit frondeur, et les dernières lettres des cinq martyrs de Buffon sont un modèle de patriotisme. Quant aux enseignants résistants, ils sont surreprésentés car leur formation et leur métier font d'eux de fins organisateurs et de bons propagandistes ; d’ailleurs beaucoup de fusillés sont professeurs, notamment l’agrégé de philosophie Cavaillès. Cet engagement professoral et toute forme de résistance contribuèrent au prestige du milieu intellectuel français dès la Libération.

***

L’œuvre de Ferry marque une rupture dans l’histoire scolaire jusque là dirigée par le cléricalisme : la laïcité se fait sentir à tous les niveaux ; ceux du local, du personnel et des programmes, dans l’enseignement primaire comme dans le supérieur.
Dans le primaire, la laïcisation enracine la république dans l’esprit du futur citoyen ; dans le supérieur, elle unit la République positiviste à la recherche scientifique et formes des littéraires républicains ; dans le secondaire, elle marque l’arrivée de la branche féminine.
La rupture avec le cléricalisme engage ainsi l’avenir de la société française. L’Ecole de Ferry, si elle n'a jamais atteint l’émancipation purement rationaliste, a permis l’acculturation des masses et l’unification du territoire.

La politique brutale vichyste montre que l’Ecole est étroitement unie à la République : qui veut du mal à l'une veut du mal à l'autre. La laïcité se révèle trop bien implantée pour que les mesures vichystes la déracinent, elles rallument au contraire l’ardeur laïque qui s'était assoupie dans les années 30. Tout comme le suffrage universel un siècle plus tôt, la laïcité s’est progressivement constituée en liberté indéniable qui ne pourra plus jamais être remise en cause après Vichy. En effet, nul n’oserait revenir sur la gratuité de l’enseignement ; la laïcité ferryste est elle créditée unanimement de tolérance et de respect et les parents devancent même l’obligation de scolarisation à six ans. Cet ancrage est le résultat d’une auto-reconnaissance de l’immense majorité des Français en fils de l’école laïque.

Mais les succès ne doivent pas masquer les lacunes qu’il reste à l’Ecole de la République : la démocratisation de l’enseignement secondaire reste un combat en cours, qui sera celui des Résistants à la Libération, portant l’espoir d’une réconciliation nationale sur le terrain de la querelle scolaire.

Construites ensemble grâce à l’école, la République et la laïcité scelleront leur union dans le Préambule de la Constitution de 1946, « La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale », officialisant la place de la laïcité au cœur de l'identité républicaine française.

Claire

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