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Message  Louise-Elisabeth Dim 18 Jan - 15:19

Voici la fiche sr les ouvriers en France de 1848 à 1958 que Clara et moi avons faite. Bonne fin de week-end!

LES OUVRIERS EN FRANCE 1848 - 1958.

Bibliographie :
· Les ouvriers dans la société française, Gérard Noiriel, Seuil, Points, 1986
· La fin d’un monde 1914-1929, Philippe Bernard, Seuil, Points, 1975
· Le déclin de la III° République 1929-1938, Henri Dubief, Seuil, Points, 1976
· Le XIX° siècle 1815-1914, René Rémond, Seuil, Points, 1974


Au sens strict, l’ouvrier est un travailleur qui exerce une activité manuelle dans l’industrie. Il est donc initialement identifié par son travail qui représente le point commun fondamental de son groupe social. Mais ce travail est aussi la source d’une hétérogénéité du monde ouvrier du fait de la diversité des activités industrielles (liée aux transformations du système économiques qui surviennent au tournant du siècle), des différents niveaux de qualification et des cadres de travail variés. L’identité de l’ouvrier, individuelle et collective, est par ailleurs constituée par sa culture, ses conditions de vie, ses revendications, ses représentations et celles des autres groupes sociaux. Mais ces points, tout comme le travail, forment à la fois des caractères communs qui unifient la classe ouvrière et reflète de sa diversité. D’autant plus que son activité dans le système de production, son univers culturel et son rôle politique se modifie au cours de la période. Il s’agit donc de procéder à une identification sociale de l’ouvrier en étudiant ses caractéristiques et sa place dans la société et de comprendre l’évolution et la formation de la classe ouvrière sur le plan social et politique. Il faut donc voir ce qui, au cours de son évolution, contribue à uniformiser cette classe sociale et ce qui, au contraire, renforce les divergences dont elle est composée. Comment la politisation du monde ouvrier modifie l’individu, le groupe, et l’ensemble même de la nation du fait de son action nouvelle sur la scène politique ? Quelles solutions le rapport des ouvriers à l’Etat offre-t-il à la tension continue entre marginalisation et intégration ? En 1848, l’ouvrier appartient à un groupe social né sous l’Ancien Régime qui s’est épanoui au début du XIXe avec l’extension de l’industrie rurale et qui repose sur la coexistence de structures industrielles et nouvelles. Qu’est-il devenu en 1958 ?
Nous verrons tout d’abord que l’ouvrier du premier XIXe est principalement un artisan et que la conscience de classe, qui amorce son processus de formation, est encore faible. Il s’agira ensuite de voir que la profonde transformation survenue avec la Grande Dépression ouvre une ère nouvelle dans laquelle les ouvriers se prolétarisent en même temps qu’ils s’unissent dans un mouvement qui atteint son apogée au début du XXe. Enfin, des années 1920 à la fin des années 1950, l’ouvrier enclenche une phase de déprolétarisation et d’intégration au sein des classes moyennes et accède, avec le Front populaire, à une véritable reconnaissance politique.


PREMIERE PARTIE : La recherche de l’identité ouvrière.

I. Être ouvrier, c’est exercer un travail manuel dans l’industrie.

Durant le premier XIXe, la France, bien qu’elle subisse les changements profonds provoqués par l’industrialisation, reste principalement rurale et le monde ouvrier est minoritaire. Au milieu du siècle, les ouvriers représentent 26,8 % de la population active (contre 51,7 % agriculteurs et 21,8 % employé de services) et 26,7 % en 1880, sachant que durant cette période, il y a encore beaucoup d’ouvriers-paysans. Les structures industrielles ont en effet un caractère émietté, avec une majorité de moyennes et petites entreprises, car l’économie française conserve un caractère dualiste : c’est le développement de l’industrie et du système de production capitaliste parallèlement à une persistance des structures préindustrielles, qui permettent une activité industrielle à la campagne. Il s’agit donc de voir comment l’ouvrier peut être défini par sa place dans un tel système de production et quelles sont les différentes formes possibles de son activité et de ses conditions de travail.
Pendant le premier XIXe, l’activité ouvrière est plurielle. Quatre types d’ouvriers appartenant à une industrie archaïque traditionnelle (dans laquelle la proto-industrie [processus de fabrication dispersé] est très présente) peuvent être distingués : les gens de métier, les artisans professionnels spécialisés, les ouvriers de fabriques et les artisans ruraux. Les gens de métier sont des artisans qualifiés (« sublimes »), distingué par un savoir-faire transmis par un maître ou la fréquentation d’un lycée professionnel. Leur activité concerne toute les branches du bâtiment, de l’habillement, du bois, de l’imprimerie, de la métallurgie et l’industrie de luxe. Ils travaillent à domicile ou en atelier, emploient des compagnons qualifiés et des apprentis et maintiennent ainsi la tradition des anciennes corporations et du compagnonnage et la fierté de l’ouvrage bien fait. L’artisan professionnel est spécialisé dans une tâche et travaille à domicile ou en chambre. C’est un petit patron qui recours à un apprenti, achète de la matière première et intervient dans le premier travail (comme le fileur de laine, rémunéré par le fabricant qui lui achètera la laine). Les ouvriers de fabriques travaillent en collectivité dans des manufactures dispersées sur des métiers à tisser non mécanisés (comme les fabriques lyonnaises, les canuts à la Croix Rousse) qui appartiennent à un chef d’atelier (main-d’œuvre féminine plus nombreuse). Enfin, le paysan-ouvrier (comme le maréchal ferrant, du tisserand en dentelle) travaille en atelier dispersé dans le cadre domestique (proto-industrialisation) dans une logique de subsistance souvent en complément d’un travail agricole. On voit donc que l’ouvrier type de la première industrialisation, c’est l’artisan. Mais il existe aussi une minorité d’ouvriers prolétaires (10 % de la PA au milieu du siècle) qui travaille en usine (en grande majorité dans le textile et, dans une moindre mesure, la métallurgie et le bâtiment). Ce secteur moderne présente une forme d’organisation capitaliste, avec le développement de la mécanisation et la concentration ouvrière. Apparaît donc une nouvelle main-d’œuvre ouvrière, non qualifié, qui vient souvent des campagnes surpeuplées, comprenant une part importante de femmes, d’enfants et d’étrangers.
Cette typologie des activités ouvrières montre qu’il n’y a pas véritablement d’identité du monde ouvrier car il n’y a pas de communauté de travail et donc, pas d’identité collective en terme économique. Mais, quelque soit le type auquel il appartient, l’ouvrier est soumis aux aléas du marché capitaliste. S’il est un artisan indépendant, il est menacé par la concurrence et s’il est salarié, il est confronté à la politique salariale libérale du patron qui choisit librement les revenus. L’ouvrier est donc le premier à être touché par les crises et le chômage, les maladies, à souffrir des conditions d’embauche et du problème de la qualification (les manœuvriers sont par exemple embauché à la journée sur la place de la grève par marchandage). Les ouvrières subissent quant à elles une discrimination (bas salaire et absence de responsabilité). Quant aux conditions de travail, elles se caractérisent souvent par la pénibilité, l’insalubrité (atelier à domicile), la durabilité (jusqu’à 18h par jour et jusqu’à 65 ans), le risque d’accident, l’absence de législation et de retraite. Le travail à l’usine apparaît même comme préférable, car plus aéré, plus sain et moins oppressant.
Mais si les ouvriers se différencient par leurs revenus et leur place dans le système de production, ils ont néanmoins en commun l’existence à cahot et des conditions de travail précaires.

II. Des univers sociaux différentiés.

Les univers sociaux ne sont pas uniquement liés au travail, mais aussi à la vie quotidienne des ouvriers, différente selon l’environnement. L’ouvrier du XIXe peut vivre dans un cadre urbain, rural ou dans une cité patronale. L’étude des différents modes de sociabilité de l’ouvrier montre la difficulté que rencontre cette classe sociale rencontre pour prendre conscience d’elle-même.
Le monde du travail dans les campagnes se présente sous forme de communautés rurales dans lesquelles sont organisés des réseaux de sociabilité, comme les fêtes et les veillées, les réunions dominicales…etc. Les travailleurs qui exercent une activité ouvrière (dans le cadre de la proto-industrie) ne se considèrent pas essentiellement comme des ouvriers mais sont imprégnés de la mentalité paysanne qui domine leur environnement. Ils sont en effet fortement attachés à la terre, rêvent d’en acquérir et ne considèrent le travail ouvrier que comme une activité d’appoint. C’est un groupe social polyvalent mais qui n’a pas conscience d’appartenir à la classe ouvrière.
C’est en revanche en ville, où les ouvriers sont plus nombreux, qu’apparaît un mode de sociabilité propre au monde ouvrier, émergent parallèlement à l’urbanisation et à la culture populaire. Les communautés urbaines s’organisent en sociabilité de quartier (à Paris, le Quartier Latin ou les faubourgs comme Belleville) dans lesquels les ouvriers peuvent se fondre avec d’autres groupes sociaux populaires (boutiquiers, métiers de rue…etc.). Contrairement à la sphère professionnelle, c’est un monde exclusivement masculin, avec une fréquentation régulière des cafés (qui est aussi un lieu de bourse de travail) et des cabarets (tandis que la femme ne va qu’à la fontaine et au lavoir), des grands boulevards et du théâtre (surtout à Paris, ville lumière). Il faut aussi noter une déterritorialisation de l’ouvrier dans sa sociabilité en tant qu’elle se forme à l’extérieur (dans la rue, l’escalier, le café) pour fuir l’exigüité des logements (mais pas de négation de la famille, qui reste une valeur), ce qui s’oppose au modèle bourgeois pour qui la famille est à l’intérieur car elle appartient à l’espace domestique. La ville est donc un lieu d’acculturation, qui permet à l’ouvrier de s’intégrer à la société, participer à des associations, lire le journal, voir les affiches et les monuments.
Mais l’ouvrier de la ville fait aussi l’objet d’une toute autre représentation chez la classe dirigeante qui voit le paupérisme urbain, massif et durable, comme une menace à l’ordre politique et social. Les enquêtes effectuées au milieu du siècle pour comprendre la misère et trouver des remèdes (comme celle d’A. Blanqui et E. Buret) soulignent une corrélation entre urbanisation, industrialisation et dégénérescence physique et morale des individus qui vivent dans les quartiers pauvres. Le caractère mortifère de certaines villes à forte concentration ouvrière, comme Lille et Mulhouse (absence d’air, de lumière, d’eau) est vu comme responsable de la dépravation des ouvriers (alcoolisme, débauche, luxure, vol). C’est donc une vision hygiéniste (néo hippocratique) et sécuritaire qui fait de la classe ouvrière urbaine une force sociale dangereuse.
Enfin, l’ouvrier appartient à un tout autre univers social lorsqu’il vit en cité ouvrière. Il s’agit d’un mode de sociabilité usinière qui repose sur l’attachement à l’usine et au patron. Ces cités, créée dans une logique patronale pour fixer la main-d’œuvre, sont des lieux disciplinaires où toute la vie de l’ouvrier est réglée par l’usine (horaire, logement, ascension social, réunion et fête). Le paternalisme qui régit les cités ouvrières, (comme l’usine du Creusot de Schneider ou le Familistère de Guise de Godin) consiste à subordonner ses employés en leur assurant un travail, un salaire, un crédit pour devenir propriétaire…etc., afin de limiter leur émancipation.
Ces différents mode de sociabilités, présentant un monde compartimenté aux intérêts divergents, explique le retard de l’identité collective. Pourtant, du fait de sa vision négative globalisante, l’élite dirigeante déploie un arsenal législatif répressif à l’égard de ce monde qui entrave tout en nourrissant les contestations ouvrières.

Louise-Elisabeth

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Message  Louise-Elisabeth Dim 18 Jan - 15:21

2.


III. L’émergence d’une conscience collective ouvrière malgré les obstacles juridiques.

Si, d’un point de vue fonctionnel et culturel, le monde ouvrier du premier XIXe reste hétérogène, il s’achemine néanmoins vers une conscience de classe aux revendications politiques et sociales communes. Le suffrage universel qui leur ait accordé en 1848 leur offre un pouvoir politique nouveau qui donne à leurs contestations une dimension nouvelle. Ce droit est considéré comme l’amorce d’une conquête, pour l’amélioration de leur condition et la reconnaissance sociale. La Révolution de 1848, suivie par la proclamation de la liberté d’association, du droit au travail, la création des ateliers nationaux et de la Commission du Luxembourg pour l’organisation du travail fondant fonde l’espoir nouveau d’une lutte victorieuse et permet d’entamer la formation d’un véritable mouvement ouvrier.
Au milieu du siècle, les contestations ouvrières sont déjà importantes (pensons à la révolte des canuts lyonnais en 1834 et aux grèves des années 1840), mais la forme qu’elles prennent atteste le fractionnement du monde ouvrier. Elles se constituent en effet à travers des mouvements associatifs diffus, d’associations mutuelles ou professionnelles (comme l’Union des associations ouvrières fondé en 1849, les Sociétés de secours mutuels autorisées en 1852 ou encore la Société des cités ouvrières créée par Dollfuss à Mulhouse) et du compagnonnage persistant. Le caractère fractionné du mouvement ouvrier, qui ne s’identifie pas encore à la lutte des classes, est peu efficace. Par ces associations et les grèves défensives (à l’égard des salaires et des conditions de travail) ils obtiennent quelques nouveaux droits (suppression du marchandage et limitation de la journée de travail à 12H en 1848, et les lois d’association) mais ils acquièrent ainsi davantage d’assistance qu’une réelle remise en cause des relations de pouvoir avec le patronat. L’échec des journées insurrectionnelles de juin 1848 montre la faiblesse d’un monde ouvrier désorganisé face à un gouvernement conservateur peu concessif. Le processus de formation du mouvement est néanmoins enclenché et sa constitution s’opère par une politisation croissante des ouvriers, grâce à des leaders qui montre la convergence des mobiles sociaux et économiques des différents mouvements contestataires. Cette prise de conscience par une minorité de militants (menés par les républicains révolutionnaires de 1848 : Raspail, L. Blanc, Blanqui) permet la diffusion d’un système de valeur à travers des journaux (…), qui lie la majorité des ouvriers à l’idée de République sociale, de justice sociale, d’émancipation politique, faisant du monde ouvrier un foyer du socialisme. C’est dans les années impériales que le mouvement ouvrier témoigne de l’affirmation d’une conscience ouvrière. En 1864, Tolain rédige le Manifeste des soixante (1ère charte ouvrière), pour revendiquer l’existence d’une classe spéciale de citoyens, porteuse d’un projet social, et pour exiger le droit à une représentation réelle. En mai de la même année, le droit de coalition est autorisé, rendant possible la série de grèves produites dans la décennie (grève à Anzin contre la pratique du marchandage en 1866, insurrection ouvrière à Roubaix et grève des ouvriers bronziers et tailleurs à Paris en 1867 et les flambées de grèves de 1869 et 1870 comme de Decazeville qui fit 14 morts). Les luttes communes unifient le mouvement qui se fonde sur le rejet de l’ordre libéral et du capitalisme et se fortifie par le développement des Chambres syndicales (tolérée à partir de 1868) et par la création de la section française de l’Association internationale ouvrière (dont le bureau s’installe à Paris en 1865). Enfin, l’émergence de la classe ouvrière comme conscience collective et force sociale contestataire se cristallise lors de la Commune. L’idéologie communarde est radicale, révolutionnaire et anticléricale dont la lutte combine deux types de conflits : social (justice) et politique (République décentralisée), montrant ainsi le caractère global du mouvement.
Les années soixante-dix marque une rupture décisive dans l’histoire du mouvement ouvrier dans la mesure où, d’une part, l’échec de la Commune anéantit le mouvement contestataire qui s’était formé progressivement et d’autre part, la Grande Dépression économique modifie le système de production et transforme de ce fait le nature même du monde ouvrier. Mais si le mouvement a perdu sa force, son unité relative, reposant sur la prise de conscience de l’identité collective des ouvriers, ainsi que les structures politiques sont conservées et vont permettre, durant la Belle Epoque jusqu’à la fin de la Grande Guerre, la renaissance d’autant plus forte de la lutte ouvrière.


DEUXIEME PARTIE : Modernité et dynamisme exceptionnel du monde ouvrier.

La Grande Dépression, qui touche le pays très fortement dans les années 1880-1890, bouleverse profondément la société française et l’équilibre instable sur lequel elle reposait. La Belle Epoque se caractérise par une prolétarisation du monde ouvrier et une intensification de la mobilisation à travers un mouvement ouvrier reconstitué et fortifié.

I. GD : modification du système de production et prolétarisation.

La crise économique qui touche la France dès les années 1870 provoque la disparition de l’industrie rurale (essentiellement textile) et le système de travail à domicile par les mutations technologiques acquises progressivement par la seconde industrialisation (utilisation du pétrole, de l’électricité et du moteur à explosion). La crise du monde paysan est donc corrélée à la crise d’un type de classe ouvrière qui appartient au premier XIXe, hérité de l’Ancien Régime. Avec le développement de l’industrie capitaliste, la production artisanale apparaît désormais plus chère et souvent de moins bonne qualité. Il en va de même pour les artisans urbains (les gens de métiers), étant donné la baisse générale du pouvoir d’achat, l’objet artisanal « de luxe » glisse vers l’objet industriel dans une perspective de consommation de masse, provoquant ainsi une baisse du prix et de la qualité. Cette stratégie capitaliste de la grande industrie affaiblit considérablement le corps des artisans qualifiés qui, de plus en plus ruinés, se tourne vers le salariat et le travail d’usine. Il y a donc bien un phénomène de prolétarisation de la classe ouvrière qui va dans le sens de son homogénéisation sur le plan économique (ou fonctionnel).Car cette prolétarisation a pour effet une modification radicale du travail de la majorité des ouvriers. L’ouvrier d’usine devient emblématique du monde ouvrier (ils augmentent de 1,3M entre 1906 et 1911). Du fait de la rationalisation et de la mécanisation des entreprises, l’activité usinière se caractérise par un travail discipliné avec les machines et une nouvelle hiérarchie s’instaure entre les ouvriers qualifiés (OP) et les ouvriers non qualifiés (OS) en constante augmentation. L’ouvrier travaille donc dans un nouveau cadre industriel organisé sur le modèle du taylorisme (comme le chantier naval de Saint-Nazaire ou chez Renault), préparant la généralisation de l’OST (organisation scientifique du travail) pendant la Grande Guerre, et voit émerger les secteurs nouveau de la mécanique, de l’automobile et de l’armement. Cette prolétarisation se traduit également par une uniformisation des comportements et des modes de vie. Car, d’une part la dominance de l’industrie usinière amplifie l’importance du paternalisme qui maintient la différenciation sociale employeur/employé en affirmant la spécificité de la condition ouvrière. La nouvelle réalité sociologique du « mineur fils de mineur » (déjà décrite par Zola dans Germinal) qui montre un ouvrier pris en charge par l’entreprise « du berceau à la tombe » reflète une stabilité de la reproduction de la main-d’œuvre. D’autre part, l’homogénéisation de la classe ouvrière par le travail s’effectue à l’échelle nationale par le brassage que permet l’usine entre les différentes populations. En effet, la mobilisation de la main-d’œuvre, durant la période d’expansion économique du début du siècle et la Première Guerre Mondiale pour les usines de guerre, provoque une concentration ouvrière dans certaines régions. Des ouvriers venant des campagnes, de nombreux immigrés (majoritairement de pays frontaliers) ainsi que des migrants venus des territoires occupés (pendant la guerre) se rencontrent à l’usine, formant une communauté nouvelle, en rupture avec la tradition.
Ainsi, de cette prolétarisation par le travail, la condition ouvrière se renouvelle et s’uniformise. Malgré la hausse globale du niveau de vie et de l’instruction, elle se caractérise par sa précarité, tant sur le plan économique (faible salaire), que social (peu d’assurance et de sécurité), et moral (travail à la chaîne déprimant, alcoolisme en hausse). C’est la raison pour laquelle, la Belle Epoque est une période de lutte ouvrière intense durant laquelle le mouvement atteint son apogée.

II. Renforcement du mouvement ouvrier par la politisation.

Avec l’ouvrier nouveau qui naît des transformations économiques de la fin du siècle, de nouvelles revendications nourrissent le mouvement qui se fortifie peu à peu par un renforcement de l’encadrement politique et des idéologies. Jusqu’à la fin de la Première Guerre Mondiale, une intense mobilisation collective gagne les classes populaires : « comme une marée irrésistible, la grève étend son domaine géographique et professionnel » (Michelle Perrot). Parallèlement à la solidarité traditionnelle contre l’usine qui persiste chez les gens de métiers et les mouvements coopératifs dans la petite industrie urbaine, se développent les bourses du travail (1887) et les chambres syndicales (regroupent les ouvriers par métiers). Institutionnalisés par la loi de Waldeck-Rousseau en 1884, elles canalisent et stabilisent l’action. Leur rôle unificateur peut s’illustrer par les grèves du 1er mai. Mais les syndicats représentent une structure institutionnelle non déterminée politiquement, c’est-à-dire que le mouvement ouvrier qui s’organise à travers elle se constitue d’orientations politiques et idéologiques différentes. Essentiellement à gauche (socialisme), les ouvriers sont divisés entre plusieurs partis : le courant marxiste avec le Parti ouvrier français (Guesde), et le Comité révolutionnaire central (Vaillant), le Parti ouvrier socialiste révolutionnaire (Allemane) dans la tradition de la Commune, enfin, la FTSF (Brousse). Partis qui se différencient par leur idéologie et tradition mais aussi leur mode d’action (révolutionnaire ou réformiste) et leur pratique syndicale (asservissement au parti ou autonomie). Le syndicat, considéré comme le meilleur outil de la révolution sociale, s’émancipe du socialisme par la création en 1895, à Limoges, de la CGT (union des syndicats et des bourses de travail). L’évolution politique du mouvement ouvrier se constitue par divergence et compromis stratégique (PS français et PS de France, SFIO). Mais la force de la lutte ouvrière tient aussi de son unité sur le plan international, par son attachement à l’Internationale ouvrière. La solidité de l’organisation sur laquelle repose le mouvement (même si le syndicalisme en France reste peu développé) explique d’une part le fait que la classe ouvrière apparaisse de plus en plus comme une classe constituée et d’autre part, l’ampleur de la mobilisation et du combat des ouvriers. Les grèves se multiplient et durent plus longtemps(multiplication par 8 entre 1882 et 1910, moyenne de 9 jours dans les années 1870 contre 18 jours dans la décennie 1900). Leur caractère violent est un moyen de théâtraliser leur détermination face aux patrons et à l’Etat. A la demande du patronat, la grève est souvent réprimée par l’envoi de la force (de l’armée) et la répression peut être sanglante : il y a mort d’hommes en 1891 à Fourmies, en 1905 à Limoges, en 1906 à Courrières, en 1908 à Draveil (10 morts à Fourmies, 6 à Draveil). Mais elles sont rarement violentes, la grève est aussi une fête et un grand moment de solidarité. Par ailleurs, l’Etat républicain ne prend pas systématiquement la défense des patrons (en 1883, Léon Bourgeois, préfet du Tarn, refuse d’envoyer la gendarmerie à Carmaux) ; l’Etat s’efforce au contraire de jouer les arbitres et de faire avancer la négociation (on sait même que la grande grève du Creusot de 1899 éclate parce que les ouvriers sentent que Waldeck-Rousseau leur est assez favorable).
La période qui s’étend de la fin du XIXe jusqu’en 1920 (échec du mouvement) présente une forte agitation ouvrière (il y a des nombreuses grèves dans les usines d’armement pendant la guerre). La conséquence de cette mobilisation, loin d’affaiblir réellement l’Etat, constitue le développement de la politique sociale entreprise par le gouvernement dans une perspective d’intégration et de concession, contribuant de ce fait à une amélioration relative de la condition ouvrière.

Louise-Elisabeth

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Message  Louise-Elisabeth Dim 18 Jan - 15:22

3.

III. Amélioration de la condition ouvrière grâce à la politique sociale.

La Troisième République, voulant faire de l’Etat un « instituteur du social », reste pourtant faible en matière de politique sociale jusqu’à la fin du XIXe. C’est en s’opposant au régime libéral par ses luttes que le mouvement ouvrier contribue à transformer progressivement la société en société assurancielle.
Trois phénomènes apparaissent comme les facteurs des avancées sociales : la pression ouvrières qui se matérialise par les grèves, les manifestations et les pétitions ; la volonté de l’Etat républicain de venir en aide aux ouvriers en tant qu’agent d’égalité et d’uniformité et qui se traduit par une politique scolaire (contre l’ignorance et le travail des enfants), militaire et hygiéniste (contre les logements insalubres, 1902) ; enfin le dernier facteur, la crise de l’Etat gendarme qui ne prend plus systématiquement la défense des patrons et commence à s’imprégner des théories sur l’intervention de l’Etat au nom de la solidarité entre les hommes (comme celle de Léon Bourgeois qui expose dans Solidarité (1896) une pensée « solidariste »). Ainsi, une série de mesures sociales sont prises par le gouvernement dans le tournant des années 1890 pour améliorer le sort des ouvriers. Parmi les principales, on peut penser aux mesures de limitation du temps de travail : la loi de 1892 interdisant aux femmes et aux jeunes travailleurs le travail de nuit, la loi de 1906 sur l’obligation du repos hebdomadaire ainsi que la législation protectrice des femmes enceintes (1909-1913). Il y a par ailleurs la politique qui se développe : pensons à la loi de 1894 sur l’assurance-retraite des mineurs, la loi de 1898 sur les accidents du travail, la loi de 1910 sur les retraites ouvrières et paysannes. Cette politique d’assurance s’inscrit dans l’idée que la collectivité doit compenser l’absence de propriété de certains de ses membres et donc que la mise en place d’une propriété sociale doit être acceptée.
Ainsi, la force du mouvement acquise au tournant du siècle et le développement d’une politique républicaine de plus en plus concessive participe donc au processus de reconnaissance de la classe ouvrière par les élites et à l’amélioration des conditions d’existence de ses membres.


TROISIEME PARTIE : Des années 20 à 1958, la lente déprolétarisation de la classe ouvrière

I. les années 20 : l’espoir d’une vie meilleure

Ce qui fait l’unité de la période allant des années 20, qui impose le monde de la grande usine parmi les ouvriers français, aussi bien dans les faits que dans les représentations, à 1958 et le triomphe du keynésianisme, est la lente déprolétarisation de la classe ouvrière dont les conditions de vie et la culture s’homogénéisent, aussi bien à l’intérieur de la classe ouvrière qu’avec le reste de la population française. Et paradoxalement, c’est aussi la période où l’on assiste à la montée des effectifs du prolétariat industriel et à l’essor politique des forces qui s’en réclament.
Dans les années 20, même si le petit atelier est encore bien vivant, l’ouvrier « spécialisé » (l’OS) qui travaille « à la chaîne », attaché à une machine, s’impose. Il ne saisit pas l’ensemble de la production, il n’est qu’un rouage parmi d’autres. Il est condamné au « travail en miettes ». La fierté du métier a disparue et ceci constitue une rupture avec le semi-artisanat du XIXème siècle. Comme l’OS n’est qu’un élément parmi la production et n’a pas de qualification professionnelle, il peut facilement être remplacé en cas de conflit avec le patron, c’est ce qui explique la forte politisation de l’OS, très revendicatif. De plus, le taylorisme, en imposant ses cadences de production, a créé une société usinière calquée sur la société militaire avec un système de pointage, une absence de pauses, une discipline stricte, l’interdiction de fumer. Sur le plan des rapports humains, à l’intérieur de l’usine règne une hiérarchie très forte qui distingue les ouvriers professionnels (OP), les manœuvres et les ouvriers spécialisés (OS), en fait sans aucune spécialisation, ils sont juste spécialisés pour accomplir une même action répétitive. Le sentiment d’injustice est donc très fort parmi ces ouvriers peu qualifiés, recrutés par la SFIC. Mais les syndicats et la presse de gauche sont pourchassés au sein de l’usine, il existe même un espionnage très organisé dans les grandes entreprises ; la crainte du renvoi pour l’ouvrier est donc bien présente. Dans les années 30, des films comme A nous la liberté de René Clair ou Les Temps modernes de Chaplin illustrent et dénoncent les excès du taylorisme. Simone Weil dénonce également la déshumanisation de ce genre de travail : « Aucune intimité ne lie les ouvriers aux lieux et aux objets parmi lesquels leur vie s’épuise et l’usine fait d’eux, dans leur propre pays, des exilés, des déracinés ».
Le cadre d’habitat des ouvriers change complètement dans les années 20 et 30. On assiste à une migration en masse des ouvriers vers les banlieues, à cause des îlots insalubres au cœur de Paris et de l’agglomération lilloise. C’est la formation des « banlieues rouges » autour de Paris, bastions de lutte des OS. Une autre raison de cette migration ouvrière vers les banlieues est l’installation des usines à la périphérie des grands centres urbains, suscitant par là des foyers de peuplement ouvriers à proximité. C’est le « deuxième âge » de l’industrialisation ; la grande usine et la banlieue se conjuguent pour donner naissance à un nouvel univers ouvrier. La « zone » cependant est encore plus déshéritée que les taudis du centre de Paris. Les lotissements sont construits de façon anarchique, sans plan d’urbanisme préalable, par exemple à Bobigny. A cause de l’insalubrité et des conditions déplorables d’hygiène, le taux de mortalité infantile parmi les ouvriers est de 10% en 1926. Et parmi la main-d’œuvre immigrée (à la fin des années 20, les étrangers forment ainsi 20% des effectifs du Creusot), c’est pire. Ainsi, à Sallaumines, dans les cités minières, chez les Polonais, le taux de mortalité infantile est de 16,7%. Les mauvaises conditions de travail : les poussières, l’humidité, le bruit, qui ne caractérisaient jusqu’à lors que l’industrie du textile, ont gagné tous les établissements. La sécurité dans les mines stagne également : il y a encore 135 morts dans le Pas-de-Calais en 1929. En ce qui concerne les conditions de vie, on peut noter également que les manœuvres célibataires et les immigrés fraîchement arrivés sont regroupés dans des baraquements. Le monde ouvrier est en effet un monde essentiellement masculin. Enfin, les salaires qui sont très bas obligent l’ouvrier à cultiver un jardin en complément, d’où la floraison des « jardins ouvriers ».
Une véritable contre-culture ouvrière existe encore dans les années 20. On reconnaît les ouvriers par leur habillement, la blouse opposée au « col blanc » des bourgeois. Ils ont leurs propres fêtes, leurs propres chants, leurs associations. Ainsi, une pratique collective comme la colombophilie rassemble dans le Nord 45 000 adeptes et 900 000 pigeons, soit les 9/10 du total français. On voit aussi l’éclosion de nombreuses fêtes paternalistes organisées pour le monde ouvrier comme la célébration du 11 novembre, les banquets en l’honneur des anciens, les remises des prix à l’école d’apprentissage. Le chef d’entreprise manifeste ainsi sa présence et montre publiquement son action bienfaisante au petit groupe des ouvriers « élus ». En effet, pour le personnel méritant, obéissant et surtout qualifié, il existe un système de gratifications. Cependant, les vieilles familles d’ouvriers, par exemple dans les mines de Lens, ne veulent pas que leurs enfants soient ouvriers à leur tour, ils rêvent d’un autre avenir pour leurs enfants, et la qualification (l’OP) est un moyen d’ascension sociale.

Louise-Elisabeth

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Message  Louise-Elisabeth Dim 18 Jan - 15:23

4.

II. Les années 30, Le paradoxe ouvrier : une reconnaissance politique et le début du déclin de la classe ouvrière

En 1931, les ouvriers représentent 34% de la population active. Le monde ouvrier est majoritaire dans les villes et en même temps, la population urbaine est majoritaire dans le pays. L’ouvrier semble donc incarner au plus près les nouvelles réalités de la France des années 30 mais la crise des années 1929-1931 l’a touché de plein fouet. Tout d’abord, le chômage concernait 2 millions et demi d’ouvriers début 1935, soit un travailleur sur cinq. Mais la situation n’était pas la même pour tous les ouvriers, les secteurs étaient plus ou moins affectés : les petites et moyennes entreprises, le bâtiment et la métallurgie furent particulièrement touchés par le chômage. Les femmes et les immigrés, qui n’avaient pas le droit de vote et donc de protester, furent également les premiers renvoyés. De plus, en raison de l’idéologie du « salaire familial », les femmes furent licenciées en masse, en toute bonne conscience : 330 000 entre 1931 et 1936, surtout dans le textile et la métallurgie. Les salaires baissèrent mais à cause de la crise, les prix baissèrent encore plus vite. On estime ainsi que les ouvriers qui gardèrent leur emploi, gagnèrent 10% de pouvoir d’achat. Lors de la crise, le niveau de la classe ouvrière aurait baissé de 15% de 1930 à 1935, et remonté d’autant en raison de la résorption partielle du chômage. Cependant l’historien Jacques Marseille a fait remarquer que, les loyers étant faibles et la charité mieux acceptée dans la société, « vivre au chômage a probablement été physiologiquement et psychologiquement moins grave qu'aujourd'hui ». Les années 30 marquent également l’âge d’or du patronage, qui montre le dynamisme de l’action paroissiale.
En ce qui concerne les moyens des ouvriers pour lutter contre le chômage, ils étaient faibles. En effet, le taux de syndicalisation des ouvriers n’était que de 10% en 1929, de 5% dans le secteur de la métallurgie. C’était les petites entreprises, celles qui comptaient les ouvriers qualifiés qui avaient fui les grandes usines, qui étaient le plus syndiquées. En plus de cela, le mouvement syndical était divisé : la CGT réformiste dirigée par Jouhaux (700 000 membres en 1930) et la CGTU révolutionnaire (300 000 membres) qui obéissait à la SFIC s’affrontaient, reflétant le conflit entre la SFIO et le PC. Il y avait également des syndicats chrétiens, méprisés par les socialistes et les communistes, et des syndicats indépendants qui refusaient une unité d’action. Les femmes et les immigrés, premiers touchés par le chômage, ne votaient pas et étaient mal représentés dans les syndicats. Le risque de chômage empêchait les ouvriers de se défendre. Jusqu’au printemps 1936, le nombre de journées de grève diminua. La victoire du Front populaire en 1936 suscita une explosion de joie et d'indiscipline chez les ouvriers. Les grandes grèves reflètent les immenses espoirs placés dans le Front populaire : c’est la première fois que l’idéologie ouvriériste est admise sur la scène politique, l’événement joua par la suite le rôle de véritable mythe fondateur pour la classe ouvrière. Le mouvement est initié par les ouvriers qualifiés, qui servirent de déclencheur et entraînèrent l’ensemble de la classe ouvrière dans la lutte. C’est une extraordinaire mobilisation populaire : 2,4 millions de travailleurs bloquent la production. Mais ces mouvements prirent parfois un caractère violent, par exemple à Clermont-Ferrand on frisa l’émeute. 1936 marque la naissance du syndicalisme de masse. Et paradoxalement, les secteurs les moins syndiqués sont le plus touchés par la grève. Les ouvriers obtiennent la victoire. Le Front populaire permet une brève alliance entre le pouvoir et la classe ouvrière, qui annonce la mise en place de l’Etat-providence à la Libération.
Et grâce au Front populaire, le genre de vie des ouvriers changeait. Ainsi, après les lois sociales des 20 et 24 juin 1936 qui imposèrent la semaine de 40 heures et les congés payés, les ouvriers avaient plus de loisirs. Un certain nombre partirent en voyage en 1937. Si les congés payés ont pris une telle importance dans la mémoire collective, c’est qu’ils accordé à l’ouvrier le droit d’exister, la liberté de faire ce qu’il voulait durant ces vacances, tout comme les possédants. A l’intérieur des foyers, il y a plus d’objets : le poste de TSF, les jouets pour les enfants… L’alimentation (même si elle représentait encore 50% du budget en 1937) est plus variée : café, sucre, agrumes entrent dans les foyers ouvriers. La représentation collective du « nouveau prolétariat » devenait aussi plus positive. En effet, les journalistes avaient multiplié les reportages sur la grève de 1936-1938 dans la presse, un nouveau support, la photographie, se chargeait de donner un visage plus humain à l’ouvrier. Au cinéma, un nouveau héros fait son apparition avec Gabin : l’ouvrier sympathique, courageux, un peu brutal.

III. De l’après-guerre à 1958 : le renforcement du processus de déprolétarisation

Après la Seconde guerre mondiale, en 1954, la France atteint le point culminant de son industrialisation. L’industrie est au cœur de la croissance économique, notamment les industries de pointe comme la métallurgie, la chimie et l’automobile. 1954 est aussi l’année où la population ouvrière atteint son sommet historique par rapport à l’ensemble de la population industrielle (87,2% pour 5,1% de patrons et 7,7% d’employés). L’enracinement de la population industrielle se marque aussi par sa stabilité des années 30 aux années 50, des générations d’ouvriers se succèdent dans les « bastions » de la grande industrie du Nord, de l’Est et de la région parisienne. Un des facteurs d’enracinement dans la classe ouvrière est l’hérédité professionnelle. Cependant, les OS, main-d’œuvre sans qualification, ont l’espoir de la réussite sociale pour leurs enfants grâce aux CAP (il y en eut plus d’un million en 1950). La nouvelle « élite ouvrière » a désormais son savoir certifié par le centre d’apprentissage. L’après-guerre marque cependant une nette amélioration de la condition ouvrière et une intégration des ouvriers à la société, ils sont démarginalisés. En effet, les niveaux de vie et de sécurité se sont rapprochés de la moyenne. La protection sociale s’est renforcée par la création de la Sécurité sociale en 1946. La croissance économique (nous sommes au début des Trente Glorieuses) a également permis une hausse des salaires. Et enfin, en ce qui concerne le logement, notamment grâce aux prêts sociaux, les ouvriers peuvent se rendre propriétaires d’un appartement HLM (en 1954, 20% des ouvriers sont propriétaires de leur logement). A la fin des années 50, les ouvriers sont donc en train d’accomplir le dernier acte du processus de leur déprolétarisation : ils deviennent possédants.
Par leurs conditions de vie, les ouvriers ont donc tendance à se fondre dans le reste de la population. Ils sont de moins en moins repérables dans la société française. Leurs modes vie et leur habillement se rapprochent des classes moyennes. Leur spécificité sociale a diminué et, en quelque sorte, les ouvriers se sont « embourgeoisés ». Cependant, même si la culture ouvrière traditionnelle s’est effondrée, les années 50 sont aussi l’apogée d’un certain type de culture ouvrière dans la grande industrie. Cette culture de classe est centrée sur la vie familiale et le fait de rester « entre soi ». Ainsi la vie de quartier occupe une place très importante : au bistrot, à l’association de jeu de boules… Toutes ces pratiques permettent la sociabilité du mouvement ouvrier. L’intégration à l’univers local pour les immigrés de la deuxième génération passe par les mariages mixtes, par exemple pour les Polonais du Nord et les Italiens de l’Est. Des rituels d’intégration existent également au sein de l’entreprise : la « perruque » ou « bricole », sorte de bizutage, constitue un de ces processus sociaux. Même si le nombre d’ouvriers dans la population active a augmenté, le secteur tertiaire commence à dépasser le secondaire. Le déclin de l’ouvriérisme se fait donc sentir dans le discours politique et médiatique. Les hommes politiques, même de gauche, s’adressent de plus en plus au tertiaire. D’autre part, le mépris à l’égard de la classe ouvrière diminue en raison de la domination intellectuelle de la gauche. En effet, les représentations de l’ouvrier se sont inversées ; sous l’influence de l’avant-garde sartrienne, le « métallo de la région parisienne » en particulier incarne « l’avenir de l’humanité ». Le « réalisme socialiste » offre une nouvelle version du fantasme ouvrier combinant populisme et misérabilisme.
Ce mythe de la classe ouvrière comme figure de l’avenir est né à la Libération. En effet, de nombreux jeunes ouvriers se sont engagés durant la Seconde guerre mondiale dans la Résistance, en réaction contre le STO imposé par Vichy. Et à la fin de la guerre, le PC a confirmé son emprise sur la classe ouvrière. Ainsi, les grandes grèves de 1947 ont été largement menées par le PC en réaction à l’élimination des ministres communistes du gouvernement, dans le cadre de la guerre froide ; cette génération revendicatrice conduisit un conflit très violent à Saint-Nazaire en 1955. Les grèves représentaient un moyen de lutte efficace pour imposer un rapport de forces plus favorable au sein de l’entreprise, d’autant plus que les risques étaient infiniment moins élevés qu’avant-guerre et les succès nombreux. Les ouvriers possédaient à présent de puissants porte-paroles pour faire entendre leur voix : la CGT fournissait une véritable culture de lutte aux mineurs, aux dockers et aux ouvriers de la métallurgie, et le PC était le 1er parti de France (aux législatives de 1956, il recueillit 50 à 60% du vote ouvrier). Cette suprématie communiste dans le monde ouvrier dans les années 50 est très manifeste, par exemple lors des élections de la Seine en 1956, 7 ouvriers sur 10 votèrent pour le PC, un seul pour la SFIO… Ces élus communistes constituent les « notables rouges » et furent choisis par la « génération héroïque », celle du Front populaire, de la Résistance et des grèves de 1938 et 1947. Le sentiment d’appartenance à la classe ouvrière était encore très fort, malgré le rapprochement du mode de vie des classes moyennes, et le facteur d’hérédité, qui prouve l’enracinement, a joué en faveur du vote communiste. Le modèle de société devint celui de l’URSS où le prolétariat était censé exercer le pouvoir, contre l’impérialisme américain, l’idéal était le paradis soviétique. A la fin des années 50, des difficultés apparurent dans le secteur des mines, à cause de la concurrence des hydrocarbures et du nucléaire mais les traditions revendicatives très fortes permirent de retarder jusque dans les années 90 la fermeture progressive des mines.


Les conditions de travail et le statut de l’ouvrier se sont largement modifiés durant la seconde moitié du XIXème siècle et la première partie du XXème siècle. On est passé d’un monde semi-artisanal au monde industrialisé et de la grande usine. Mais la machine n’a jamais complètement remplacé l’homme ; et ainsi, l’ouvrier professionnel, héritier en quelque sorte du savoir-faire du XIXème, siècle mène la lutte pour garantir ses avantages sociaux. Même si la classe ouvrière a pris conscience petit à petit de sa valeur collective en tant que classe, formée surtout par l’idéologie marxiste et reprise ensuite par toute la gauche, malgré la diversité des secteurs de l’industrie, des tailles des entreprises et des lieux géographiques, ce n’est qu’à partir de la fin du XIXème siècle qu’elle peut s’organiser pour lutter efficacement et demander une amélioration sociale, par le biais des syndicats. L’évolution des conditions de vie de la classe ouvrière s’est surtout marquée par une homogénéisation à l’intérieur même du groupe, mais également par un rapprochement des modes de vie et d’habillement avec le reste de la population. A la fin des années 50, l’ouvrier ne représente plus la peur du « rouge » comme après la Commune. En effet, d’autres exclus l’ont remplacé au sein de la société comme les immigrés d’Afrique du Nord. En 1958, au cœur des Trente Glorieuses, en pleine croissance économique, les ouvriers apparaissent pour la première fois comme des travailleurs satisfaits. Ce n’est que dans les années 70 que les premières difficultés quant à la survie d’industries comme les mines se font jour. Les Trente Glorieuses constituent paradoxalement l’apogée et le début du déclin structurel de la classe ouvrière.

Louise-Elisabeth

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Date d'inscription : 10/11/2008

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