La Khâgne classique de Condorcet
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Fiches de philosophies

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Message  Morgane Mar 4 Nov - 19:37

Je mets quelques "fiches" plus ou moins intéressantes pour le devoir de samedi...
C'est un livre assez dense, je ne pense pas le ficher en entier. Là, en retirant le chapitre sur l'espace géométrique (suivant) il y a normalement l'essentiel à retenir des deux premières parties. (Ensuite il y a la physique et les sciences de la nature).

Henri POINCARE
La science et l’hypothèse
(1902)

[LES MATHEMATIQUES]


INTRODUCTION

« Pour un observateur superficiel, la vérité scientifique est hors des atteintes du doute ; la logique de la science est infaillible et, si les savants se trompent quelquefois, c'est pour en avoir méconnu les règles.
Les vérités mathématiques dérivent d'un petit nombre de propositions évidentes par une chaîne de raisonnements impeccables ; elles s'imposent non seulement à nous, mais à la nature elle-même. …

Quand on a un peu plus réfléchi, on a aperçu la place tenue par l'hypothèse ; on a vu que le mathématicien ne saurait s'en passer et que l'expérimentateur ne s'en passe pas davantage.

Quelle est la nature du raisonnement mathématique ? Est-il réellement déductif comme on le croit d'ordinaire ? Une analyse approfondie nous montre qu'il n'en est rien, qu'il participe dans une certaine mesure de la nature du raisonnement inductif et que c'est par la qu'il est fécond. Il n'en conserve pas moins son caractère de rigueur absolue ; c'est ce que nous avions d'abord à montrer.

Connaissant mieux maintenant l'un des instruments que les mathématiques mettent entre les mains du chercheur, nous avions à analyser une autre notion fondamentale, celle de la grandeur mathématique. La trouvons-nous dans la nature, ou est-ce nous qui l'y introduisons ? Et, dans ce dernier cas, ne risquons-nous pas de tout fausser ? . Comparant les données brutes de nos sens et ce concept extrêmement complexe et subtil que les mathématiciens appellent grandeur, nous sommes bien forcés de reconnaître une divergence ; ce cadre où nous voulons tout faire rentrer, c'est donc nous qui l'avons fait ; mais nous ne l'avons pas fait au hasard, nous l'avons fait pour ainsi dire sur mesure et c'est pour cela que nous pouvons y faire rentrer les faits sans dénaturer ce qu'ils ont d'essentiel.

Un autre cadre que nous imposons au monde, c'est l'espace. D'où viennent les premiers principes de la géométrie ? Nous sont-ils imposés par la logique ? Lobatchevski * a montré que non en créant les géométries non euclidiennes. L'espace nous est-il révélé par nos sens ? Non encore, car celui que nos sens pourraient nous montrer diffère absolument de celui du géomètre. La géométrie dérive-t-elle de l'expérience ? Une discussion approfondie nous montrera que non. Nous conclurons donc que ses principes ne sont que des conventions ; mais ces conventions ne sont pas arbitraires, et transportés dans un autre monde (que j'appelle le monde non euclidien et que je cherche à imaginer) nous aurions été amenés à en adopter d'autres.

[* sur la géométrie non euclidienne, voir : Lobatchevski, la géométrie hyperbolique 1837 ou 1829 ? ; 1832 Jànos Bolyai ; les surfaces de Riemann 1854, mais 1871 Klein publie On the So-called Non-Euclidian Geometry]

PREMIERE PARTIE [La nature du raisonnement mathématique]

CHAPITRE PREMIER, Le nombre et la grandeur.

Si cette science n'est déductive qu'en apparence, d'où lui vient cette parfaite rigueur que personne ne songe à mettre en doute ? Si, au contraire, toutes les propositions qu'elle énonce peuvent se tirer les unes des autres par les règles de la logique formelle, comment la mathématique ne se réduit-elle pas à une immense tautologie ?

… Sans doute, on peut remonter aux axiomes qui sont à la source de tous les raisonnements. … les classer parmi les jugements synthétiques à priori. Ce n'est pas résoudre la difficulté, c'est seulement la baptiser…

Aucun théorème ne devrait être nouveau si dans sa démonstration n'intervenait un axiome nouveau ; le raisonnement ne pourrait nous rendre que les vérités immédiatement évidentes empruntées à l'intuition directe ; il ne serait plus qu'un intermédiaire parasite … il faut bien concéder que le raisonnement mathématique a par lui-même une sorte de vertu créatrice et par conséquent qu'il se distingue du syllogisme. …

[démonstration de 2+2 = 4 selon Leibniz] On ne saurait nier que ce raisonnement ne soit purement analytique. Mais interrogez un mathématicien quelconque : "Ce n'est pas une démonstration proprement dite, vous répondra- t-il, c'est une vérification". On s'est borné à rapprocher l'une de l'autre deux définitions purement conventionnelles et on a constaté leur identité, on n'a rien appris de nouveau. La vérification diffère précisément de la véritable démonstration, parce qu'elle est purement analytique et parce qu'elle est stérile. Elle est stérile parce que la conclusion n'est que la traduction des prémisses dans un autre langage. La démonstration véritable est féconde au contraire parce que la conclusion y est en un sens plus général que les prémisses.

si la mathématique devait se réduire à une suite de pareilles vérifications, elle ne serait pas une science.


[définition des deux opérations : addition et multiplication]
[Les propriétés de l‘addition : ] Associativité.- … Commutativité. …
[Les propriétés de la multiplication] Distributivité. …. Commutativité. …

On vient de voir comment on peut s'en servir pour démontrer les règles de l'addition et de la multiplication, c'est-à-dire les règles du calcul algébrique ; ce calcul est un instrument de transformation qui se prête à beaucoup plus de combinaisons diverses que le simple syllogisme ; mais c'est encore un instrument purement analytique et incapable de rien nous apprendre de nouveau. Si les mathématiques n'en avaient pas d'autre elles seraient donc tout de suite arrêtées dans leur développement ; mais elles ont de nouveau recours au même procédé, c'est-à-dire au raisonnement par récurrence et elles peuvent continuer leur marche en avant. …Le caractère essentiel du raisonnement par récurrence c'est qu'il contient, condensés pour ainsi dire en une formule unique, une infinité de syllogismes. …
On voit donc que, dans les raisonnements par récurrence, on se borne à énoncer la mineure du premier syllogisme, et la formule générale qui contient comme cas particuliers toutes les majeures.
Cette suite de syllogismes qui ne finirait jamais se trouve ainsi réduite à une phrase de quelques lignes.
Il est facile maintenant de comprendre pourquoi toute conséquence particulière d'un théorème peut, comme je l'ai expliqué plus haut, être vérifiée par des procédés purement analytiques. …

On ne peut donc se soustraire à cette conclusion que la règle du raisonnement par récurrence est irréductible au principe de contradiction.
Cette règle ne peut non plus nous venir de l'expérience ; ce que l'expérience pourrait nous apprendre, c'est que la règle est vraie pour les dix, pour les cent premiers nombres par exemple, elle ne peut atteindre la suite indéfinie des nombres, mais seulement une portion plus ou moins longue mais toujours limitée de cette suite.
Or, s'il ne s'agissait que de cela, le principe de contradiction suffirait, il nous permettrait toujours de développer autant de syllogismes que nous voudrions, c'est seulement quand il s'agit d'en enfermer une infinité dans une seule formule, c'est seulement devant l'infini que ce principe échoue, c'est également là que l'expérience devient impuissante. Cette règle, inaccessible à la démonstration analytique et à l'expérience, est le véritable type du jugement synthétique a priori. On ne saurait d'autre part songer à y voir une convention, comme pour quelques-uns des postulats de la géométrie.

On ne saurait méconnaître qu'il y a là une analogie frappante avec les procédés habituels de l'induction. Mais une différence essentielle subsiste. L'induction, appliquée aux sciences physiques, est toujours incertaine, parce qu'elle repose sur la croyance à un ordre général de l'Univers, ordre qui est en dehors de nous. L'induction mathématique, c'est-à-dire la démonstration par récurrence, s'impose au contraire nécessairement, parce qu'elle n'est que l'affirmation d'une propriété de l'esprit lui-même. …

[Mais] On ne peut donc même pas dire que dans la partie réellement analytique et déductive des raisonnements mathématiques, on procède du général au particulier, au sens ordinaire du mot. … Les mathématiciens procèdent donc « par construction », ils construisent des combinaisons de plus en plus compliquées. Revenant ensuite par l'analyse de ces combinaisons, de ces ensembles, pour ainsi dire, à leurs éléments primitifs, ils aperçoivent les rapports de ces éléments et en déduisent les rapports des ensembles eux-mêmes.
C'est là une marche purement analytique, mais ce n'est pas pourtant une marche du général au particulier, car les ensembles ne sauraient évidemment être regardés comme plus particuliers que leurs éléments.

On a attaché, et à juste titre, une grande importance à ce procédé de la « construction » et on a voulu y voir la condition nécessaire et suffisante les progrès des sciences exactes.
Nécessaire, sans doute, mais suffisante, non. Pour qu'une construction puisse être utile, pour qu'elle ne soit pas une vaine fatigue pour l'esprit, pour qu'elle puisse servir de marchepied à qui veut s'élever plus haut, il faut d'abord qu'elle possède une sorte d'unité, qui permette d'y voir autre chose que la juxtaposition de ses éléments.
Ou plus exactement, il faut qu'on trouve quelque avantage à considérer la construction plutôt que ses éléments eux-mêmes.

CHAPITRE II, La grandeur mathématique et l’expérience.

[Qu‘est-ce que le continu ?] Partons de l'échelle des nombres entiers ; entre deux échelons consécutifs, intercalons un ou plusieurs échelons intermédiaires, puis entre ces échelons nouveaux d'autres encore, et ainsi de suite indéfiniment. Nous aurons ainsi un nombre illimité de termes, ce seront les nombres que l'on appelle fractionnaires, rationnels ou commensurables. Mais ce n'est pas assez encore ; entre ces termes qui sont pourtant déjà en nombre infini, il faut encore en intercaler d'autres, que l'on appelle irrationnels ou incommensurables. … Le continu ainsi conçu n'est plus qu'une collection d'individus rangés dans un certain ordre, en nombre infini, il est vrai, mais extérieurs les uns aux autres. …le véritable continu mathématique est tout autre chose que celui des physiciens et celui des métaphysiciens.

Les mathématiciens n'étudient pas des objets, mais des relations entre les objets ; il leur est donc indifférent de remplacer ces objets par d'autres, pourvu que les relations ne changent pas. La matière ne leur importe pas, la forme seule les intéresse. …

l'esprit est amené à créer le concept d'un continu, formé d'un nombre indéfini de termes.
Tout se passe comme pour la suite des nombres entiers. Nous avons la faculté de concevoir qu'une unité peut être ajoutée à une collection d'unités ; c'est grâce à l'expérience que nous avons l'occasion d'exercer cette faculté et que nous en prenons conscience ; mais, dès ce moment, nous sentons que notre pouvoir n'a pas de limite et que nous pourrions compter indéfiniment, quoique nous n'ayons jamais eu à compter qu'un nombre fini d'objets…
un nombre incommensurable était regardé comme la frontière commune de deux classes de nombres rationnels.
Telle est l'origine du continu du deuxième ordre, qui est le continu mathématique proprement dit.
Résumé. -- En résumé, l'esprit a la faculté de créer des symboles, et c'est ainsi qu'il a construit le continu mathématique, qui n'est qu'un système particulier de symboles. Sa puissance n'est limitée que par la nécessité d'éviter toute contradiction ; mais l'esprit n'en use que si l'expérience lui en fournit une raison.


Dernière édition par Morgane le Ven 7 Nov - 17:41, édité 1 fois

Morgane

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Message  Morgane Mar 4 Nov - 19:43

DEUXIEME PARTIE [nature, vérité et utilité des axiomes mathématiques]

CHAPITRE III Les géométries non-euclidiennes.

Toute conclusion suppose des prémisses ; ces prémisses elles-mêmes ou bien sont évidentes par elles-mêmes et n'ont pas besoin de démonstration, ou bien ne peuvent être établies qu'en s'appuyant sur d'autres propositions, et comme on ne saurait remonter ainsi à l'infini, toute science déductive, et en particulier la géométrie, doit reposer sur un certain nombre d'axiomes indémontrables. Tous les traités de géométrie débutent donc par l'énoncé de ces axiomes. Mais il y a entre eux une distinction à faire : quelques-uns, comme celui-ci par exemple : «deux quantités égales à une même troisième sont égales entre elles», ne sont pas des propositions de géométrie, mais des propositions d'analyse. Je les regarde comme des jugements analytiques a priori, je ne m'en occuperai pas.
Mais je dois insister sur d'autres axiomes qui sont spéciaux à la géométrie. La plupart des traités en énoncent trois explicitement
1° Par deux points ne peut passer qu'une droite ;
2° La ligne droite est le plus court chemin d'un point à un autre.
3° Par un point on ne peut faire passer qu'une parallèle à une droite donnée.
Bien que l'on se dispense généralement de démontrer le second de ces axiomes, il serait possible de le déduire des deux autres et de ceux, beaucoup plus nombreux, que l'on admet implicitement sans les énoncer, ainsi que je l'expliquerai plus loin.
On a longtemps cherché en vain à démontrer également le troisième axiome, connu sous le nom de postulatum d'Euclide. … Enfin au commencement du siècle et à peu près en même temps, deux savants, un Russe et un Hongrois, Lobatchevski et Bolyai établirent d'une façon irréfutable que cette démonstration est impossible …

LA GÉOMÉTRIE DE LOBATCHEVSKI. -- S'il était possible de déduire le postulatum d'Euclide des autres axiomes, il arriverait évidemment qu'en niant le postulatum, et en admettant les autres axiomes, on serait conduit à des conséquences contradictoires ; il serait donc impossible d'appuyer sur de telles prémices une géométrie cohérente.
Or c'est précisément ce qu'a fait Lobatchevski. Il suppose au début que :
L'on peut par un point mener plusieurs parallèles à une droite donnée ;
Et il conserve d'ailleurs tous les autres axiomes d'Euclide. De ces hypothèses, il déduit une suite de théorèmes entre lesquels il est impossible de relever aucune contradiction et il construit une géométrie dont l'impeccable logique ne le cède en rien à celle de la géométrie euclidienne. …
Ainsi la somme des angles d'un triangle est toujours plus petite que deux droits et la différence entre cette somme et deux droits est proportionnelle à la surface du triangle. …
LA GÉOMÉTRIE DE RIEMANN. -- [pas sur un plan euclidien, mais sur une sphère] … Ce qu'ils appelleront l'espace, ce sera cette sphère d'où ils ne peuvent sortir et sur laquelle se passent tous les phénomènes dont ils peuvent avoir connaissance. Leur espace sera donc sans limites puisqu'on peut sur une sphère aller toujours devant soi sans jamais être arrêté, et cependant il sera fini ; on n'en trouvera jamais le bout, mais on pourra en faire le tour.
Eh bien, la géométrie de Riemann, c'est la géométrie sphérique étendue à trois dimensions. Pour la construire, le mathématicien allemand a dû jeter par-dessus bord, non seulement le postulatum d'Euclide, mais encore le premier axiome : Par deux points on ne peut faire passer qu'une droite. …
Sur une sphère, par deux points donnés on ne peut faire en général passer qu'un grand cercle (qui, comme nous venons de le voir, jouerait le rôle de la droite pour nos êtres imaginaires), mais il y a une exception : si les deux points donnés sont diamétralement opposés, on pourra faire passer par ces deux points une infinité de grands cercles.

Il y a une sorte d'opposition entre la géométrie de Riemann et celle de Lobatchevski.
Ainsi la somme des angles d'un triangle est :
Égale à deux droits dans la géométrie d'Euclide.
Plus petite que deux droits dans celle de Lobatchevski.
Plus grande que deux droits dans celle de Riemann.
Le nombre des parallèles qu'on peut mener à une droite donnée par un point donné est égal à un dans la géométrie d'Euclide, à zéro dans celle de Riemann, à l'infini dans celle de Lobatchevski.
Considérons un certain plan que j'appellerai fondamental et construisons une sorte de dictionnaire, en faisant correspondre chacun à chacun une double suite de termes écrits dans deux colonnes, de la même façon que se correspondent dans les dictionnaires ordinaires les mots de deux langues dont la signification est la même :
Espace...... Portion de l'espace située au-dessus du plan fondamental.
Plan.......... Sphère coupant orthogonalement le plan fondamental.
Droite....... Cercle coupant orthogonalement le plan fondamental.
Sphère.….. Sphère.
Cercle....... Cercle.
Angle....... Angle.

LES AXIOMES IMPLICITES-- Un être mathématique existe, pourvu que sa définition n'implique pas contradiction, soit en elle- même, soit avec les propositions antérieurement admises. …
Telle est par exemple celle de l'égalité de deux figures : deux figures sont égales quand on peut les superposer ; pour les superposer il faut déplacer l'une d'elles jusqu'à ce qu'elle coïncide avec l'autre ; mais comment faut-il la déplacer ? Si nous le demandions, on nous répondrait sans doute qu'on doit le faire sans la déformer et à la façon d'un solide invariable. Le cercle vicieux serait alors évident.
En fait, cette définition ne définit rien ; elle n'aurait aucun sens pour un être qui habiterait un monde où il n'y aurait que des fluides. Si elle nous semble claire, c'est que nous sommes habitués aux propriétés des solides naturels qui ne diffèrent pas beaucoup de celles des solides idéaux dont toutes les dimension, sont invariables.
Cependant, tout imparfaite qu'elle soit, cette définition implique un axiome.
La possibilité du mouvement d'une figure invariable n'est pas une vérité évidente par elle- même, ou du moins elle ne l'est qu'à la façon du postulatum d'Euclide et non comme le serait un jugement analytique à priori.

DE LA NATURE DES AXIOMES. -- La plupart des mathématiciens ne regardent la géométrie de Lobatchevski que comme une simple curiosité logique ; quelques-uns d'entre eux sont allés plus loin cependant. Puisque plusieurs géométries sont possibles, est-il certain que ce soit la nôtre qui soit vraie ? L'expérience nous apprend sans doute que la somme des angles d'un triangle est égale à deux droits ; mais c'est parce que nous n'opérons que sur des triangles trop petits ; la différence, d'après Lobatchevski, est proportionnelle à la surface du triangle : ne pourra-t-elle devenir sensible quand nous opérerons sur des triangles plus grands ou quand nos mesures deviendront plus précises ? La géométrie euclidienne ne serait ainsi qu'une géométrie provisoire.
Pour discuter cette opinion, nous devons d'abord nous demander quelle est la nature des axiomes géométriques.
Sont-ce des jugements synthétiques a priori, comme disait Kant ?
Ils s'imposeraient alors à nous avec une telle force, que nous ne pourrions concevoir la proposition contraire, ni bâtir sur elle un édifice théorique. Il n'y aurait pas de géométrie non euclidienne.
Pour s'en convaincre, qu'on prenne un véritable jugement synthétique a priori, par exemple celui-ci, dont nous avons vu au chapitre premier le rôle prépondérant :
Si un théorème est vrai pour le nombre 1, si on a démontré qu'il est vrai de $n+1$, pourvu qu'il le soit de $n$, il sera vrai de tous les nombres entiers positifs.
Qu'on essaie ensuite de s'y soustraire et de fonder, en niant cette proposition, une fausse arithmétique analogue à la géométrie non euclidienne, -- on n'y pourra pas parvenir ; on serait même tenté au premier abord de regarder ces jugements comme analytiques. …
Devons-nous donc conclure que les axiomes de la géométrie sont des vérités expérimentales ? Mais on n'expérimente pas sur des droites ou des circonférences idéales ; on ne peut le faire que sur des objets matériels. … Si la géométrie était une science expérimentale, elle ne serait pas une science exacte elle serait soumise à une continuelle révision. Que dis-je ? elle serait dès aujourd'hui convaincue d'erreur puisque nous savons qu'il n'existe pas de solide rigoureusement invariable.

Les axiomes géométriques ne sont donc ni des jugements synthétiques a priori ni des faits expérimentaux.
Ce sont des conventions ; notre choix, parmi toutes les conventions possibles, est guidé par des faits expérimentaux ; mais il reste libre et n'est limité que par la nécessité d'éviter toute contradiction. C'est ainsi que les postulats peuvent rester rigoureusement vrai quand même les lois expérimentales qui ont déterminé leur adoption ne sont qu'approximatives.
En d'autres termes, les axiomes de la géométrie (je ne parle pas de ceux de l'arithmétique) ne sont que des définitions déguisées.

Dès lors, que doit-on penser de cette question : La géométrie euclidienne est-elle vraie ?
Elle n'a aucun sens.
Autant demander si le système métrique est vrai et les anciennes mesures fausses ; si les coordonnées cartésiennes sont vraies et les coordonnées polaires fausses. Une géométrie ne peut pas être plus vraie qu'une autre ; elle peut seulement être plus commode.
Or la géométrie euclidienne est et restera la plus commode
1° Parce qu'elle est la plus simple ; et elle n'est pas telle seulement par suite de nos habitudes d'esprit ou de je ne sais quelle intuition directe que nous aurions de l'espace euclidien ; elle est la plus simple en soi de même qu'un polynôme du premier degré est plus simple qu'un polynôme du second degré ; les formules de la trigonométrie sphérique sont plus compliquées que celles de la trigonométrie rectiligne, et elles paraîtraient encore telles à un analyste qui en ignorerait la signification géométrique.
2° Parce qu'elle s'accorde assez bien avec les propriétés des solides naturels, ces corps dont se rapprochent nos membres et notre œil et avec lesquels nous faisons nos instruments de mesure.

Morgane

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Message  Morgane Mar 4 Nov - 19:52

Henri POINCARE
La science et l’hypothèse
(1902)

L’ESPACE ET LA GEOMETRIE



II, CHAPITRE IV, L’espace et la géométrie.

L'ESPACE GÉOMÉTRIQUE ET L'ESPACE REPRÉSENTATIF. - … Quelles sont d'abord les propriétés de l'espace proprement dit ? je veux dire de celui qui fait l'objet de la géométrie et que j'appellerai l'espace géométrique. Voici quelques-unes des plus essentielles : 1° Il est continu ; 2° Il est infini ; 3° Il a trois dimensions ; 4° Il est homogène, c'est-à-dire que tous ses points sont identiques entre eux ; 5° Il est isotrope, c'est-à-dire que toutes les droites qui passent par un même point sont identiques entre elles. …

L'ESPACE VISUEL. -- Considérons d'abord une impression purement visuelle, due à une image qui se forme sur le fond de la rétine.
Une analyse sommaire nous montre cette image comme continue, mais comme possédant seulement deux dimensions, cela distingue déjà de l'espace géométrique ce que l'on peut appeler l'espace visuel pur.
D'autre part cette image est enfermée dans un cadre limité.
Enfin il y a une autre différence non moins importante : cet espace visuel pur n'est pas homogène. … La troisième dimension nous est révélée de deux manières différentes : par l'effort d'accommodation et par la convergence des yeux. …

L'ESPACE TACTILE ET L'ESPACE MOTEUR. -- « L'espace tactile » est plus compliqué encore que l'espace visuel et s'éloigne davantage de l'espace géométrique. Il est inutile de répéter, pour le toucher, la discussion que j'ai faite pour la vue.
Mais en dehors des données de la vue et du toucher, il y d'autres sensations qui contribuent autant et plus qu'elles a la genèse de la notion d'espace. Ce sont celles que tout le monde connaît, qui accompagnent tous nos mouvements et que l'on appelle ordinairement musculaires.
Le cadre correspondant constitue ce que l'on peut appeler l'espace moteur.
Chaque muscle donne naissance à une sensation spéciale susceptible d'augmenter ou de diminuer, de sorte que l'ensemble de nos sensations musculaires dépendra d'autant de variables que nous avons de muscles. A ce point de vue, l'espace moteur aurait autant de dimensions que nous avons de muscles. …

CARACTÈRES DE L'ESPACE REPRÉSENTATIF. -- Ainsi l'espace représentatif, sous sa triple forme, visuelle, tactile et motrice, est essentiellement différent de l'espace géométrique.
Il n'est ni homogène, ni isotrope ; on ne peut même pas dire qu'il ait trois dimensions.
On dit souvent que nous projetons dans l'espace géométrique les objets de notre perception externe ; que nous les « localisons ».
Cela a-t-il un sens et quel sens cela a-t-il ?
Cela veut-il dire que nous nous représentons les objets extérieurs dans l'espace géométrique ?
Nos représentations ne sont que la reproduction de nos sensations, elles ne peuvent donc se ranger que dans le même cadre qu'elles, c'est-à-dire dans l'espace représentatif.
Il nous est aussi impossible de nous représenter les corps extérieurs dans l'espace géométrique, qu'il est impossible à un peintre de peindre, sur un tableau plan, des objets avec leurs trois dimensions.
L'espace représentatif n'est qu'une image de l'espace géométrique, image déformée par une sorte de perspective, et nous ne pouvons nous représenter les objets qu'en les pliant aux lois de cette perspective.

Nous ne nous représentons donc pas les corps extérieurs dans l'espace géométrique, mais nous raisonnons sur ces corps, comme s'ils étaient situés dans l'espace géométrique.
Quand on dit d'autre part que nous « localisons » tel objet en tel point de l'espace, qu'est-ce que cela veut dire ?
Cela signifie simplement que nous nous représentons les mouvements qu'il faut faire pour atteindre cet objet ; et qu'on ne dise pas que pour se représenter ces mouvements, il faut les projeter eux-mêmes dans l'espace et que la notion d'espace doit, par conséquent, préexister.
Quand je dis que nous nous représentons ces mouvements, je veux dire seulement que nous nous représentons les sensations musculaires qui les accompagnent et qui n'ont aucun caractère géométrique, qui par conséquent n'impliquent nullement la préexistence de la notion d'espace.

CHANGEMENTS D'ÉTAT ET CHANGEMENTS DE POSITION -- Mais, dira-t-on, si l'idée de l'espace géométrique ne s'impose pas à notre esprit, si d'autre part aucune de nos sensations ne peut nous la fournir, comment a-t-elle pu prendre naissance ?
Aucune de nos sensations, isolée, n'aurait pu nous conduire à l'idée de l'espace, nous y sommes amenés seulement en étudiant les lois suivant lesquelles ces sensations se succèdent.

LES CORPS SOLIDES ET LA GÉOMÉTRIE. -- Parmi les objets qui nous entourent, il y en a qui éprouvent fréquemment des déplacements susceptibles d'être ainsi corrigés par un mouvement corrélatif de notre propre corps, ce sont les corps solides.
Les autres objets, dont la forme est variable, ne subissent qu'exceptionnellement de semblables déplacements (changement de position sans changement de forme). Quand un corps s'est déplacé en se déformant, nous ne pouvons plus, par des mouvements appropriés, ramener les organes de nos sens dans la même situation relative par rapport à ce corps ; nous ne pouvons plus par conséquent rétablir l'ensemble primitif d'impressions.
Ce n'est que plus tard, et à la suite d'expériences nouvelles, que nous apprenons à décomposer les corps de forme variable en éléments plus petits tels que chacun d'eux se déplace à peu près suivant les mêmes lois que les corps solides. Nous distinguons ainsi les « déformations » des autres changements d'état ; dans ces déformations chaque élément subit un simple changement de position, qui peut être corrigé, mais la modification subie par l'ensemble est plus profonde et n'est plus susceptible d'être corrigée par un mouvement corrélatif.
Une pareille notion est déjà très complexe et n'a pu apparaître que d'une façon relativement tardive ; elle n'aurait pu naître d'ailleurs si l'observation des corps solides ne nous avait appris déjà à distinguer les changements de position.
Si donc il n'y avait pas de corps solides dans la nature, il n'y aurait pas de géométrie.

En résumé :
1° Nous sommes amenés d'abord à distinguer deux catégories de phénomènes :
Les uns, involontaires, non accompagnés de sensations musculaires, sont attribués par nous aux objets extérieurs ; ce sont les changements externes
Les autres, dont les caractères sont opposés et que nous attribuons aux mouvements de notre propre corps, sont les changements internes ;
2° Nous remarquons que certains changements de chacune de ces catégories peuvent être corrigés par un changement corrélatif de l'autre catégorie ;
3° Nous distinguons, parmi les changements externes, ceux qui ont ainsi un corrélatif dans l'autre catégorie, c'est ce que nous appelons les déplacements ; et de même parmi les changements internes, nous distinguons ceux qui ont un corrélatif dans la première catégorie.
Ainsi se trouve définie, grâce à cette réciprocité, une classe particulière de phénomènes que nous appelons déplacements. Ce sont les lois de ces phénomènes qui font l'objet de la géométrie.

LOI D'HOMOGÉNÉITÉ. --C'est ce fait que l'on énonce d'ordinaire on disant que l'espace est homogène et isotrope.
On peut dire aussi qu'un mouvement qui s'est produit une fois peut se répéter une seconde fois, une troisième fois, et ainsi de suite, sans que ses propriétés varient.

LE MONDE NON EUCLIDIEN. -- Si l'espace géométrique était un cadre imposé à chacune de nos représentations, considérée individuellement, il serait impossible de se représenter une image dépouillée de ce cadre, et nous ne pourrions rien changer à notre géométrie.
Mais il n'en est pas ainsi, la géométrie n'est que le résumé des lois suivant lesquelles se succèdent ces images. Rien n'empêche alors d'imaginer une série de représentations, ce tout point semblables à nos représentations ordinaires, mais se succédant d'après des lois différentes de celles auxquelles nous sommes accoutumés.

CONCLUSIONS. - On voit que l'expérience joue un rôle indispensable dans la genèse de la géométrie ; mais ce serait une erreur d'en conclure que la géométrie est une science expérimentale, même en partie.
Si elle était expérimentale, elle ne serait qu'approximative et provisoire. Et quelle approximation grossière !
La géométrie ne serait que l'étude des mouvements des solides ; mais elle ne s'occupe pas en réalité des solides naturels, elle a pour objet certains solide. idéaux, absolument invariables, qui n'en sont qu'une image simplifiée et bien lointaine.
La notion de ces corps idéaux est tirée de toutes pièces de notre esprit et l'expérience n'est qu'une occasion qui nous engage à l'en faire sortir.
Ce qui est l'objet de la géométrie, c'est l'étude d'un « groupe » particulier ; mais le concept général de groupe préexiste dans notre esprit au moins en puissance. Il s'impose à nous, non comme forme de notre sensibilité, mais comme forme de notre entendement.
Seulement, parmi tous les groupes possibles, il faut choisir celui qui sera pour ainsi dire l'étalon auquel nous rapporterons les phénomènes naturels.
L'expérience nous guide dans ce choix qu'elle ne nous impose pas ; elle nous fait reconnaître non quelle est la géométrie la plus vraie, mais quelle est la plus commode.
On remarquera que j'ai pu décrire les mondes fantaisistes que j'ai imaginés plus haut, sans cesser d'employer le langage de la géométrie ordinaire.
Et, en effet, nous n'aurions pas à en changer si nous y étions transportés.
Des êtres qui y feraient leur éducation trouveraient sans doute plus commode de créer une géométrie différente de la nôtre, qui s'adapterait mieux à leurs impressions. Quant à nous, en face des mêmes impressions, il est certain que nous trouverions plus commode de ne pas changer nos habitudes.


Dernière édition par Morgane le Mar 4 Nov - 20:26, édité 1 fois

Morgane

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Message  Morgane Mar 4 Nov - 20:00

Bon, maintenant, celui que vous adorez tous, la bible de votre table de chevet : Comte... !
Voici les cours 1 et 2 de philosophie positive.

Auguste COMTE
Cours de philosophie positive,
Leçon I



PREMIERE LECON
« PLAN de la leçon

I Loi historique des trois états théoriques
A) Etat théologique ou fictif : causes, agents surnaturels, l’Etre unique.
B) Etat métaphysique ou abstrait : entités. L’idée de Nature.
C) Etat scientifique ou positif : lois en petit nombre, liaison de l’observable.
Application de la loi de développement de l’intelligence individuelle.
Statut du primitif : contradiction, cercle vicieux; spontanéité, résolution de l’insoluble.
Caractère continuiste de la loi de révolution générale.

II L’Etat positif
Substitution des lois au causes : exemples de Newton, de Fourier.
Sa naissance : au plus, Aristote et l’école d’Alexandrie; au moins, Bacon, Galilée, Descartes.
But spécial du cours : fonder la physique sociale.
But général : considérer chaque science fondamentale dans sa relation au système positif.
Etudes des généralités scientifiques, formation d’une classe, dominante, de généralités.

III Avantages
A) Mise en évidence des lois logiques de l’esprit humain. Formation d’une science positive ou naturelle des sciences. Condamnation de la psychologie. De la science logique à l’art logique : fonctionnement de la pratique.
B) Refonte générale du système de l’éducation. Idée d’un tronc unique (commun).
C) Progrès des sciences par combinaison. Exemple de Descartes (géométrie et algèbre) des proportions définies et de l’azote (chimie et physiologie).
D) Réorganisation sociale après la crise. Rétablissement de l’ordre, fin de la révolution.

Conclusion : il ne peut exister de loi unitaire, il n’y a d’unité que des méthodes. »





I Loi historique des trois états théoriques : « En étudiant ainsi le développement total de l’intelligence humaine dans ses diverses sphères d’activités, depuis son premier essor le plus simple jusqu’à nos jours, je crois avoir découvert une loi fondamentale, à laquelle il est assujetti par une nécessité invariable, et qui me semble pouvoir être solidement établie, soit sur les preuves rationnelles fournies par la connaissance de notre organisation, soit sur les vérifications historiques résultant d’un examen attentif du passé ». Ce développement est assimilé au développement de l’intelligence individuelle, « le point de départ étant nécessairement le même dans l’éducation de l’individu que dans celle de l’espèce ». Elle consiste en trois états de la sciences, qui sont :
A) L’état théologique ou fictif : causes, agents surnaturels, l’Etre unique. Cet état est « le point de départ nécessaire de l’intelligence humaine ». « Dans l’état théologique, l’esprit humain, dirigeant essentiellement ses recherches vers la nature intime des êtres, les causes premières et finales de tous les effets qui le frappent, en un mot, vers les connaissances absolues, se représente les phénomènes comme produits par l’action directe et continue d’agents surnaturels plus ou moins nombreux, dont l’intervention arbitraire toutes les anomalies apparentes de l’univers. » il est parvenu à sa perfection quand il a « substitué l’action providentielle d’un être unique au jeu varié des nombreuses divinités indépendantes qui avaient été imaginées primitivement »
B) L’état métaphysique ou abstrait : entités. L’idée de Nature. « Dans l’état métaphysique, qui n’est au fond qu’une simple modification générale du premier, les agents surnaturels sont remplacés par des forces abstraites, véritables entités (abstractions personnifiées) inhérentes au divers êtres du monde, et conçues comme capables d’engendrer par elles mêmes tous les phénomènes observés, dont l’explication consiste alors à assigner pour chacun une entité correspondante. » son terme, est de concevoir une seule grande entité générale, la nature, source unique de tous les phénomènes.
C) L’état scientifique ou positif : lois en petit nombre, liaison de l’observable.
Application de la loi de développement de l’intelligence individuelle.
Statut du primitif : contradiction, cercle vicieux; spontanéité, résolution de l’insoluble.
Caractère continuiste de la loi de révolution générale.
« Enfin, dans l’état positif, l’esprit humain, reconnaissant l’impossibilité d’obtenir des notions absolues, renonce à chercher l’origine et la destination de l’univers, et à connaître les causes intimes des phénomènes pour s’attacher uniquement à découvrir, par l’usage bien combiné du raisonnement et de l’observation, leurs lois effectives, càd leurs relations invariables de succession et de similitude. L’explication des faits, réduite alors à ses termes réels, n’est plus désormais que la liaison établie entre les divers phénomènes particuliers et quelques faits généraux dont les progrès de la science tendent de plus en plus à en diminuer le nombre. » Sa perfection « quoi qu’il serait très probable qu’il ne doive jamais l’atteindre », serait de « pouvoir se représenter tous les divers phénomènes observables comme des cas particuliers d’un seul fait général, tel que celui de la gravitation, par exemple. »

II L’état positif « Nous sommes aujourd’hui tellement éloignés de ces dispositions premières, du moins quant à la plupart des phénomènes, que nous avons peine à nous représenter exactement la puissance et la nécessité de considérations semblables. La raison humaine est maintenant assez mûre pour que nous entreprenions de laborieuses recherches scientifiques, sans avoir en vue aucun but étranger capable d’agir fortement sur l’imagination, comme celui que se proposaient les astrologues ou les alchimistes. Notre activité intellectuelle est suffisamment excitée par le pur espoir de découvrir les lois des phénomènes, par le simple désir de confirmer ou d’infirmer une théorie. Mais il ne pouvait en être ainsi dans l’enfance de l’esprit humain. Sans les attrayantes chimères de l’astrologie, sans les énergiques déceptions de l’alchimie, par exemple, où aurions-nous puisé la constance et l’ardeur nécessaires pour recueillir les longues suites d’observations et d’expériences qui ont, plus tard, servi de fondement aux premières théories positives de l’une et l’autre classe d phénomènes ? »
Le passage du régime théologique au positif se fait ainsi : « En substituant, dans l’étude des phénomènes, à l’action surnaturelle directrice une entité correspondante et inséparable, quoique celle-ci ne fut d’abord conçue que comme une émanation de la première, l’homme s’est habitué peu à peu à ne considérer que les faits eux-mêmes, les notions de ces agents métaphysiques ayant été graduellement subtilisés au point de n’être plus, au yeux de tout esprit droit, que les noms abstraits des phénomènes. »
« le caractère fondamental de la philosophie positive est de regarder tous les phénomènes comme assujettis à des lois naturelles invariables, dont la découverte précise et la réduction au moindre nombre possible sont le but de tous nos efforts, en considérant comme absolument inaccessible et vide de sens la recherche de ce qu’on appelle les causes, soit premières, soit finales. » Il s’agit en fait « d’analyser avec exactitude les circonstances de leur production [des phénomènes], et de les rattacher les unes aux autres par des relations normales de succession et de similitude ».
Substitution des lois au causes : exemples de Newton, de Fourier. Les phénomènes généraux de l’univers sont certes expliqués par la loi newtonienne (l’attraction des corps en raison de leur masse et en raison inverse du carré de leur distance), mais il ne s’agit de pas de savoir ce qu’est la pesanteur ou l’attraction en elles-mêmes, ou quelles en sont les causes : cela n’est pas du ressort de la philosophie positive (mais de celui de la philosophie théologique ou métaphysique). Autre exemple : les théories de Fourier sur la chaleur, dont il décrit les lois sans s’impliquer dans la controverse sur nature intime de la chaleur (matière calorifique ou vibrations d’un éther universel?).
Sa naissance : au plus, Aristote et l’école d’Alexandrie; au moins, Bacon, Galilée, Descartes. Les différentes branches de notre connaissance n’ont pas eu une maturation égale : d’abord l’astronomie, puis la physique, puis la chimie. On ne peut en déterminer l’origine précise, mais il semble que cela remonte à Aristote et l’école d’Alexandrie, ensuite à l’introduction des sciences naturelles dans l’Europe occidentale par les Arabes. Mais « le grand mouvement imprimé à l’esprit humain » est celui formé par Bacon, Galilée, et Descartes.
But spécial du cours : fonder la physique sociale. Comte note une lacune : les phénomènes sociaux, seule lacune à combler pour achever la philosophie positive : « Les conceptions que je tenterai de présenter relativement à l’étude des phénomènes sociaux […] seront destinées à imprimer à cette dernière classe de nos connaissances [la philosophie naturelle] ce caractère positif déjà pris par toutes les autres. […] le système philosophique des modernes sera enfin fondé dans son ensemble […] il ne lui restera qu’à se développer par des acquisitions toujours croissantes qui résulteront inévitablement de nouvelles observations ou de méditations plus profondes ».
But général : « Il s’agit uniquement ici de considérer chaque science fondamentale dans sa relation au système positif tout entier et quant à l‘esprit qui le caractérise, càd sous le double rapport de ses méthodes essentielles et de ses résultats principaux » .
« De l’aveu de tous, les divisions, établies pour la plus grande perfection de nos travaux, entre les diverses branches de la philosophie naturelle, sont finalement artificielles […] Craignons que l’esprit humain ne finisse par se perdre dans des travaux de détail. Ne nous dissimulons pas que c’est là essentiellement le côté faible par lequel les partisans de la philosophie théologique et de la philosophie métaphysique peuvent encore attaquer avec quelque espoir de succès la philosophie positive ».
Etudes des généralités scientifiques, formation d’une classe, dominante, de généralités. « Le meilleur moyen d’arrêter l’influence délétère dont l’avenir intellectuel semble menacé […] consiste au contraire dans le perfectionnement de la division du travail elle-même. Il suffit en effet de faire de l‘étude des généralités scientifiques une grande spécialité de plus. »


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Morgane

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Message  Morgane Mar 4 Nov - 20:05

III Avantages
A) Mise en évidence des lois logiques de l’esprit humain. Formation d’une science positive ou naturelle des sciences. Condamnation de la psychologie. De la science logique à l’art logique : fonctionnement de la pratique.
« Premièrement, l’étude de la philosophie positive, en considérant les résultats de l’activité de nos facultés intellectuelles, nus fournit le seul vrai moyen rationnel de mettre en évidence les lois logiques de l’esprit humain, qui ont été recherchées jusqu’ici par des voies si peu propres à les dévoiler. » L’ouvrage des Principes généraux d’anatomie comparée (introduction) de Blainville aboutit à étudier tout être vivant sous deux rapports fondamentaux, à savoir sous le rapport statique et sous le rapport dynamique ; deux rapports que l’on peut appliquer aux fonctions intellectuelles. Du point du vue statique, il s’agit de déterminer les conditions organiques dont-elles dépendent (anatomie, physiologie); du point de vue dynamique, « tout se réduit à étudier le marche effective de l’esprit humain en exercice, par l’examen des procédés réellement employés pour obtenir les diverses connaissances exactes qu’il a déjà acquises, ce qui constitue essentiellement l’objet général de la philosophie positive ».
Les métaphysiciens ont voulu sauver leur doctrine par un « sophisme fondamental » qui prétend que leur observation est elle aussi fondée sur les faits, comme s’il y avait deux sortes d’observations, l’une extérieure, l’autre intérieure, qui correspondrait à l’étude des phénomènes intellectuels. Or, « il est sensible, en effet, que, par une nécessité invincible, l’esprit humain peut observer tous les phénomènes, excepté les siens propres. […] tout état de passion très prononcé est incompatible avec l’état d’observation. […] Cette prétendue méthode psychologique est donc racialement nulle dans son principe. »
« Lorsqu’il s’agit non seulement en effet de savoir ce qu’est la méthode positive, mais d’en avoir une connaissance assez nette et assez profonde pour pouvoir en faire un usage effectif, c’est en action qu’il faut la considérer, ce sont les diverses grandes applications déjà vérifiées que l’esprit humain en a faite qu’il convient d’étudier. […] La méthode n’est pas susceptible d’être étudiée séparément des recherches où elle est employée; ou, du moins, ce n’est là qu’une étude morte, incapable de féconder l’esprit qui s’y livre. […] C’est pour avoir méconnu ce fait essentiel que nos psychologues sont conduits à prendre leurs rêveries pour de la science, croyant comprendre la méthode positive pour avoir lu les préceptes de Bacon ou le discours de Descartes ».
B) Refonte générale du système de l’éducation. Idée d’un tronc unique (commun). « En effet, déjà, les bons esprits reconnaissent unanimement la nécessité de remplacer notre éducation européenne, encore essentiellement théologique, métaphysique et littéraire, par une éducation positive, conforme à l’esprit de notre époque, et adaptée aux besoins de la civilisation moderne […] Pour que la philosophie naturelle puisse achever la régénération [but qu‘il est impossible d‘atteindre dans l‘état actuel de nos idées, eu égard à la spécialisation], déjà si préparée, de notre système intellectuel, il est donc indispensable que les différentes sciences dont elle se compose, présentées à toutes les intelligences comme les diverses branches d'un tronc unique, soient réduites d'abord à ce qui constitue leur esprit, c'est-à-dire à leurs méthodes principales et à leurs résultats les plus importants. Ce n'est qu'ainsi que l'enseignement des sciences peut devenir, parmi nous, la base d'une nouvelle éducation générale vraiment rationnelle.»
C) Progrès des sciences par combinaison. Exemple de Descartes et de la géométrie analytique (géométrie et algèbre), puis des proportions définies et enfin de l’azote (chimie et physiologie). Les divisions établies entre nos sciences sont artificielles. « Il en résulte plus d'une fois que, contrairement à nos répartitions classiques, des questions importantes exigeraient une certaine combinaison de plusieurs points de vue spéciaux, qui ne peut guère avoir lieu dans la constitution actuelle du monde savant ».
D) Réorganisation sociale après la crise. Rétablissement de l’ordre, fin de la révolution. « Enfin, une quatrième et dernière propriété fondamentale que je dois faire remarquer dès ce moment dans ce que j'ai appelé la philosophie positive, et qui doit sans doute lui mériter plus que toute autre l'attention générale, puisqu'elle est aujourd'hui la plus importante pour la pratique, c'est qu'elle peut être considérée comme la seule base solide de la réorganisation sociale qui doit terminer l'état de crise dans lequel se trouvent depuis si longtemps les nations les plus civilisées. […] la grande crise politique et morale des sociétés actuelles tient, en dernière analyse, à l'anarchie intellectuelle […] maximes fondamentales dont la fixité est la première condition d'un véritable ordre social. Tant que les intelligences individuelles n'auront pas adhéré par un assentiment unanime à un certain nombre d'idées générales capables de former une doctrine sociale commune, on ne peut se dissimuler que l'état des nations restera, de toute nécessité , essentiellement révolutionnaire, malgré tous les palliatifs politiques qui pourront être adoptés, et ne comportera réellement que des institutions provisoires. […] je crois pouvoir résumer exactement toutes les observations relatives à la situation actuelle de la société en disant simplement que le désordre actuel des intelligences tient, en dernière analyse, à l'emploi simultané des trois philosophies radicalement incompatibles […] la philosophie positive est seule destinée à prévaloir selon le cours ordinaire des choses. Seule elle a été, depuis une longue suite de siècles, constamment en progrès, tandis que ses antagonistes ont été constamment en décadence. Que ce soit à tort ou à raison, peu importe; le fait général est incontestable, et il suffit. »

Conclusion : Il n’y a pas de loi unitaire, il n‘y a d‘unité que des méthodes.

Comte met en garde le lecteur : « il était loin de ma pensée de vouloir procéder à l'étude générale de ces phénomènes en les considérant tous comme des effets divers d'un principe unique, comme assujettis à une seule et même loi. […] Dans ma profonde conviction personnelle, je considère ces entreprises d'explication universelle de tous les phénomènes par une loi unique comme éminemment chimériques ».
« La philosophie positive serait sans doute plus parfaite s'il pouvait en être ainsi. Mais cette condition n'est nullement nécessaire à sa formation systématique, non plus qu'à la réalisation des grandes et heureuses conséquences que nous l'avons vue destinée à produire. Il n'y a d'unité indispensable pour cela que l'unité de méthode, laquelle peut et doit évidemment exister, et se trouve déjà établie en majeure partie. »
« Quant à la doctrine, il n'est pas nécessaire qu'elle soit une; il suffit qu'elle soit homogène. C'est donc sous le double point de vue de l'unité des méthodes et de l'homogénéité des doctrines que nous considérerons, dans ce cours, les différentes classes de théories positives. »

Morgane

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Message  Morgane Mar 4 Nov - 20:11

Auguste COMTE,
Cours de philosophie positive,
Leçon II


DEUXIEME LECON

« PLAN de la leçon :


- des anciennes échelles encyclopédiques, prématurées, parce que les régions à classer ne se trouvaient pas toutes à l’état positif.
- guide : la théorie de la classification chez les botanistes et les zoologistes.

I Théorie et pratique
A) Système pratique de procédés : prévoyance, action, industrie.
Système théorique de connaissances : besoin de savoir, étonnement.
Existence d’un système intermédiaire : classe sociale des ingénieurs.
Exemple de la géométrie descriptive, comme théorie générale des arts de la construction.
Chaque art dépend de plusieurs sciences, voire de toutes (ex. : agriculture).
B) Sciences abstraites, générales : lois des phénomènes possibles.
Sciences concrètes, particulières, descriptives : lois des phénomènes existants
Exemples. En général : physique dogmatique, histoire naturelle.
En particulier : physiologie, zoologie et botanique; chimie, minéralogie.
Chaque section de la physique concrète dépend de plusieurs sciences, voire de toutes (ex. : étude de la terre)
Bilan :
1) Classer les connaissances spéculatives, non les connaissances d’application.
2) Classer les sciences abstraites, non les sciences concrètes.
Le filtre dichotomique laisse un résidu : la physique abstraite.

II La classification
- Classification naturelle et artificielle. Du cercle vicieux.
- Exposition historique, exposition dogmatique.
Que la seconde remplace la première, que l’éducation par manuels remplace l’éducation par les traités originaux.
Le dogme est un raccourci de l’histoire.
La classification est généralement conforme à l’histoire, mais pas complètement, il reste des cercles.
- Classifications combinatoires.
Deux relations d’ordre : simplicité, généralité.
Les phénomènes les plus simples et les plus généraux sont les plus étrangers à l’homme.
- Jeux de dichotomie : brut, organisé; ciel, terre; extérieur, intérieur; individu, espèce. D’où la classification.

III Ses propriétés
- Elle est conforme à l’état de la science, à son fonctionnement, à son histoire, à la perfection relative de chaque discipline. Elle propose un plan d’éducation rationnelle.
- Des mathématiques : de leur division abstraite ou instrumentale et concrète ou naturelle. »






- des anciennes échelles encyclopédiques, prématurées, parce que les régions à classer ne se trouvaient pas toutes à l’état positif. « toutes les échelles encyclopédiques construites, comme celles de Bacon et de d'Alembert, d'après une distinction quelconque des diverses facultés de l'esprit humain, sont par cela seul radicalement vicieuses, même quand cette distinction n'est pas, comme il arrive souvent, plus subtile que réelle »
Il est essentiel d’en rechercher la cause : « Elle consiste dans le défaut d'homogénéité qui a toujours existé jusqu'à ces derniers temps entre les différentes parties du système intellectuel, les unes étant successivement devenues positives, tandis que les autres restaient théologiques ou métaphysiques. Dans un état de choses aussi incohérent, il était évidemment impossible d'établir aucune classification rationnelle. »
- guide : la théorie de la classification chez les botanistes et les zoologistes, qui est un guide certain « par le véritable principe fondamental de l'art de classer ». « Ce principe est une conséquence nécessaire de la seule application directe de la méthode positive à la question même des classifications, qui, comme toute autre, doit être traitée par observation, au lieu d'être résolue par des considérations a priori. »


I Théorie et pratique « Tous les travaux humains sont, ou de spéculation, ou d'action. […] il ne s'agit point d'observer le système entier des notions humaines mais uniquement celui des conceptions fondamentales sur les divers ordres de phénomènes, qui fournissent une base solide à toutes nos autres combinaisons quelconques, et qui ne sont, à leur tour, fondées sur aucun système intellectuel antécédent. Or, dans un tel travail, c'est la spéculation qu'il faut considérer, et non l'application, si ce n'est en tant que celle-ci peut éclaircir la première. »
A) Système pratique de procédés : prévoyance, action, industrie. « on doit concevoir l'étude de la nature comme destinée à fournir la véritable base rationnelle de l'action de l'homme sur la nature, puisque la connaissance des lois des phénomènes, dont le résultat constant est de nous les faire prévoir, peut seule évidemment nous conduire, dans la vie active, à les modifier à notre avantage les uns par les autres. […] En résumé, science, d'où prévoyance; prévoyance, d'où action »
Système théorique de connaissances : besoin de savoir, étonnement. « nous ne devons pas oublier que les sciences ont, avant tout, une destination plus directe et plus élevée, celle de satisfaire au besoin fondamental qu'éprouve notre intelligence de connaître les lois des phénomènes. Pour sentir combien ce besoin est profond et impérieux, il suffit de penser un instant aux effets physiologiques de l'étonnement, et de considérer que la sensation la plus terrible que nous puissions éprouver est celle qui se produit toutes les fois qu'un phénomène nous semble s'accomplir contradictoirement aux lois naturelles qui nous sont familières. »
Existence d’un système intermédiaire : classe sociale des ingénieurs, entre les savants proprement dits et les directeurs effectifs des travaux productifs (« arts »), dont la destination spéciale est d'organiser les relations de la théorie et de la pratique. « Sans avoir aucunement en vue le progrès des connaissances scientifiques, elle les considère dans leur état présent pour en déduire les applications industrielles dont elles sont susceptibles. »
Exemple de la géométrie descriptive, comme théorie générale des arts de la construction (Monge).
Chaque art dépend de plusieurs sciences, voire de toutes « On concevra d'autant mieux la difficulté de construire ces doctrines intermédiaires que je viens d'indiquer, si l'on considère que chaque art dépend non seulement d'une certaine science correspondante, mais à la fois de plusieurs, tellement que les arts les plus importants empruntent des secours directs à presque toutes les diverses sciences principales. » (ex. : agriculture qui combine physiologie, chimie, physique, astronomie, mathématiques. De même les beaux-arts).
B) Sciences abstraites, générales : lois des phénomènes possibles. / Sciences concrètes, particulières, descriptives : lois des phénomènes existants. « Il faut distinguer, par rapport à tous les ordres de phénomènes, deux genres de sciences naturelles : les unes abstraites, générales, ont pour objet la découverte des lois qui régissent les diverses classes de phénomènes, en considérant tous les cas qu'on peut concevoir; les autres concrètes, particulières, descriptives, et qu'on désigne quelquefois sous le nom de sciences naturelles proprement dites, consistent dans l'application de ces lois à l'histoire effective des différents êtres existants. Les premières sont donc fondamentales, c'est sur elles seulement que porteront nos études dans ce cours; les autres, quelle que soit leur importance propre, ne sont réellement que secondaires, et ne doivent point, par conséquent, faire partie d'un travail que son extrême étendue naturelle nous oblige à réduire au moindre développement possible.
Exemples. En général : physique dogmatique, histoire naturelle. « Ce sont évidemment, en effet, deux travaux d'un caractère fort distinct, que d'étudier, en général, les lois de la vie, ou de déterminer le mode d'existence de chaque corps vivant, en particulier. »
En particulier : physiologie, zoologie et botanique; chimie, minéralogie. « Dans la chimie, on considère toutes les combinaisons possibles des molécules, et dans toutes les circonstances imaginables; dans la minéralogie, on considère seulement celles de ces combinaisons qui se trouvent réalisées dans la constitution effective du globe terrestre, et sous l'influence des seules circonstances qui lui sont propres. »
Chaque section de la physique concrète dépend de plusieurs sciences, voire de toutes (ex. : étude de la terre) « l'étude spéciale de la terre, considérée sous tous les points de vue qu'elle peut présenter effectivement, exige la connaissance préalable de la physique et de la chimie, mais elle ne peut être faite convenablement, sans y introduire, d'une part, les connaissances astronomiques, et même, d'une autre part, les connaissances physiologiques; en sorte qu'elle tient au système entier des sciences fondamentales. »
Bilan :
1) Classer les connaissances spéculatives, non les connaissances d’application.
« la science humaine se composant, dans son ensemble, de connaissances spéculatives et de connaissances d'application, c'est seulement des premières que nous devons nous occuper ici »
2) Classer les sciences abstraites, non les sciences concrètes. Le filtre dichotomique laisse un résidu : la physique abstraite. « les connaissances théoriques ou les sciences proprement dites, se divisant en sciences générales et sciences particulières, nous devons ne considérer ici que le premier ordre, et nous borner à la physique abstraite, quelque intérêt que puisse nous présenter la physique concrète ».

II La classification
- Classification naturelle et artificielle. Du cercle vicieux.
« En effet, le but principal que l'on doit avoir en vue dans tout travail encyclopédique, c'est de disposer les sciences dans l'ordre de leur enchaînement naturel, en suivant leur dépendance mutuelle; de telle sorte qu'on puisse les exposer successivement, sans jamais être entraîné dans le moindre cercle vicieux. » Or, « quelque naturelle que puisse être une telle classification, elle renferme toujours nécessairement quelque chose, sinon d'arbitraire, du moins d'artificiel. »
- Exposition historique, exposition dogmatique. « Par le premier procédé, on expose successivement les connaissances dans le même ordre effectif suivant lequel l'esprit humain les a réellement obtenues, et en adoptant, autant que possible, les mêmes voies. Par le second, on présente le système des idées tel qu'il pourrait être conçu aujourd'hui par un seul esprit, qui, placé au point de vue convenable, et pourvu des connaissances suffisantes, s'occuperait à refaire la science dans son ensemble. »
Que la seconde remplace la première, que l’éducation par manuels remplace l’éducation par les traités originaux. « Mais à mesure que la science fait des progrès, l'ordre historique d'exposition devient de plus en plus impraticable, par la trop longue suite d'intermédiaires qu'il obligerait l'esprit à parcourir; tandis que l'ordre dogmatique devient de plus en plus possible, en même temps que nécessaire, parce que de nouvelles conceptions permettent de présenter les découvertes antérieures sous un point de vue plus direct. »
Le dogme est un raccourci de l’histoire. « Il est clair, d'après cela, que, quoiqu'il soit infiniment plus facile et plus court d'apprendre que d'inventer, il serait certainement impossible d'atteindre le but proposé si l'on voulait assujettir chaque esprit individuel à passer successivement par les mêmes intermédiaires qu'a dû suivre nécessairement le génie collectif de l'espèce humaine. »
La classification est généralement conforme à l’histoire, mais pas complètement, il reste des cercles. « On voit, en effet, que, quelque parfaite qu'on pût la supposer, cette classification ne saurait jamais être rigoureusement conforme à l'enchaînement historique des sciences. Quoi qu'on fasse, on ne peut éviter entièrement de présenter comme antérieure telle science qui aura cependant besoin, sous quelques rapports particuliers plus ou moins importants, d'emprunter des notions à une autre science classée dans un rang postérieur. Il faut tâcher seulement qu'un tel inconvénient n'ait pas lieu relativement aux conceptions caractéristiques de. chaque science, car alors la classification serait tout à fait vicieuse. »
- Classifications combinatoires. « pour obtenir une classification naturelle et positive des sciences fondamentales, c'est dans la comparaison des divers ordres de phénomènes dont elles ont pour objet de découvrir les lois que nous devons en chercher le principe. Ce que nous voulons déterminer, c'est la dépendance réelle des diverses études scientifiques. Or cette dépendance ne peut résulter que de celle des phénomènes correspondants. »
Deux relations d’ordre : simplicité, généralité. « En considérant sous ce point de vue tous les phénomènes observables, nous allons voir qu'il est possible de les classer en un petit nombre de catégories naturelles disposées d'une telle manière, que l'étude rationnelle de chaque catégorie soit fondée sur la connaissance des lois principales de la catégorie précédente, et devienne le fondement de l'étude de la suivante. Cet ordre est déterminé par le degré de simplicité, ou, ce qui revient au même, par le degré de généralité des phénomènes d'où résulte leur dépendance successive, et, en conséquence, la facilité plus ou moins grande de leur étude. »
Les phénomènes les plus simples et les plus généraux sont les plus étrangers à l’homme. « car ce qui s'observe dans le plus grand nombre de cas est, par cela même, dégagé le plus possible des circonstances propres à chaque cas séparé. C'est donc par l'étude des phénomènes les plus généraux ou les plus simples qu'il faut commencer, en procédant ensuite successivement jusqu'aux phénomènes les plus particuliers ou les plus compliqués »
- Jeux de dichotomie : brut, organisé; ciel, terre; extérieur, intérieur; individu, espèce. D’où la classification. « Il ne s'agit pas ici d'examiner si les deux classes de corps sont ou ne sont pas de la même nature […] il n'est nullement indispensable de considérer les corps bruts et les corps vivants comme étant d'une nature essentiellement différente, pour reconnaître la nécessité de la séparation de leurs études. […] Il suffit, quant à présent, d'avoir reconnu, en principe, la nécessité logique de séparer la science relative aux premiers de celle relative aux seconds, et de ne procéder à l'étude de la physique organique qu'après avoir établi les lois générales de la physique inorganique.» (Pour les autres exemples, même idée : il faut établir les lois des sciences abstraites et générales avant celles des sciences concrètes, particulières et descriptives).
« C'est une condition ordinairement fort négligée par les constructeurs d'échelles encyclopédiques, que de présenter comme distinctes les sciences que la marche effective de l'esprit humain a conduit, sans dessein prémédité, à cultiver séparément, et d'établir entre elles une subordination conforme aux relations positives que manifeste leur développement journalier. Un tel accord est néanmoins évidemment le plus sûr indice d'une bonne classification; »

Morgane

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Message  Morgane Mar 4 Nov - 20:29


III Ses propriétés
- Elle est conforme à l’état de la science, à son fonctionnement, à son histoire, à la perfection relative de chaque discipline. Elle propose un plan d’éducation rationnelle.
« Il faut d'abord remarquer, comme une vérification très décisive de l'exactitude de cette classification, sa conformité essentielle avec la coordination, en quelque sorte spontanée, qui se trouve en effet implicitement admise par les savants livrés à l'étude des diverses branches de la philosophie naturelle. »
« Un second caractère très essentiel de notre classification, c'est d'être nécessairement conforme à l'ordre effectif du développement de la philosophie naturelle. C'est ce que vérifie tout ce qu'on sait de l'histoire des sciences, particulièrement dans les deux derniers siècles, où nous pouvons suivre leur marche avec plus d'exactitude. »
« En troisième lieu, cette classification présente la propriété très remarquable de marquer exactement la perfection relative des différentes sciences, laquelle consiste essentiellement dans le degré de précision des connaissances et dans leur coordination plus ou moins intime. […] Je ne dois point passer à une autre considération sans mettre le lecteur en garde à ce sujet contre une erreur fort grave, et qui, bien que très grossière, est encore extrêmement commune. Elle consiste à confondre le degré de précision que comportent nos différentes connaissances avec leur degré de certitude, d'où est résulté le préjugé très dangereux que, le premier étant évidemment fort inégal, il en doit être ainsi du second. »
« Enfin, la propriété la plus intéressante de notre formule encyclopédique, à cause de l'importance et de la multiplicité des applications immédiates qu'on en peut faire, c'est de déterminer directement le véritable plan général d'une éducation scientifique entièrement rationnelle. […] Il est sensible, en effet, qu'avant d'entreprendre l'étude méthodique de quelqu'une des sciences fondamentales, il faut nécessairement s'être préparé par l'examen de celles relatives aux phénomènes antérieurs dans notre échelle encyclopédique, puisque ceux-ci influent toujours d'une manière prépondérante sur ceux dont on se propose de connaître les lois. »
- Des mathématiques : de leur division abstraite ou instrumentale et concrète ou naturelle. « Aujourd'hui, en effet, la science mathématique est bien moins importante par les connaissances, très réelles et très précieuses néanmoins, qui la composent directement, que comme constituant l'instrument le plus puissant que l'esprit humain puisse employer dans la recherche des lois des phénomènes naturels.
Pour présenter à cet égard une conception parfaitement nette et rigoureusement exacte, nous verrons qu'il faut diviser la science mathématique en deux grandes sciences, dont le caractère est essentiellement distinct : la mathématique abstraite, ou le calcul, en prenant ce mot dans sa plus grande extension, et la mathématique concrète, qui se compose, d'une part de la géométrie générale, d'une autre part de la mécanique rationnelle. La partie concrète est nécessairement fondée sur la partie abstraite, et devient à son tour la base directe de toute la philosophie naturelle, en considérant, autant que possible, tous les phénomènes de l'univers comme géométriques ou comme mécaniques.
La partie abstraite est la seule qui soit purement instrumentale, n'étant autre chose qu'une immense extension admirable de la logique naturelle à un certain ordre de déductions. La géométrie et la mécanique doivent, au contraire, être envisagées comme de véritables sciences naturelles, fondées, ainsi que toutes les autres, sur l'observation, quoique, par l'extrême simplicité de leurs phénomènes, elles comportent un degré infiniment plus parfait de systématisation, qui a pu quelquefois faire méconnaître le caractère expérimental de leurs premiers principes. Mais ces deux sciences physiques ont cela de particulier, que, dans l'état présent de l'esprit humain, elles sont déjà et seront toujours davantage employées comme méthode beaucoup plus que comme doctrine directe.
Il est, du reste, évident qu'en plaçant ainsi la science mathématique à la tête de la philosophie positive, nous ne faisons qu'étendre davantage l'application de ce même principe de classification, fondé sur la dépendance successive des sciences en résultat du degré d'abstraction de leurs phénomènes respectifs, qui nous a fourni la série encyclopédique, établie dans cette leçon. Nous ne faisons maintenant que restituer à cette série son véritable premier terme, dont l'importance propre exigeait un examen spécial plus développé. »

Conclusion : « En résultat définitif, la mathématique, l'astronomie, la physique, la chimie, la physiologie et la physique sociale : telle est la formule encyclopédique qui, parmi le très grand nombre de classifications que comportent les six sciences fondamentales, est seule logiquement conforme à la hiérarchie naturelle et invariable des phénomènes. »


C'est tout pour aujourd'hui.

Morgane

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Date d'inscription : 19/06/2008

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